Le chemin de traverse accueillait une affluence de sorciers presque effrayante ; tous absorbés par les traditionnelles emplettes de la rentrée scolaire. Impossible de distinguer, au sein du capharnaüm urbain, quelque visage familier, tant la foule se mouvait dans une ivresse consumériste. Un garçon pourtant, semblait se démarquer de l'essaim ; non pas qu'on le remarqua du premier coup d'œil, mais il dégageais une nonchalance qui tranchait véritablement avec le reste de la rue.
Ce garçon traversa la chaussée, son œil attiré par une devanture pourpre qui indiquait : "Madame Guipure, prêt à porter pour mages et sorciers". L'attention au vêtement était une évidence pour lui, un honneur à défendre. Si l'élégance portait un nom, c'était Otto. Le style vestimentaire de ce dernier était un subtil syncrétisme entre le raffinement germanique dont il était très fier et la légèreté propre à l'Amérique du Sud : Otto, c'était l'homme de Rio fleuri du charme de la baronnie autrichienne. Pour un enfant épris de l'habillement, c'était une gloire que de se rendre à Londres, ô pays de la sacro-sainte Savile Row ! L'Angleterre, auparavant si austère pour le garçon, commençait à révéler avec habileté tous ses plus fins attraits.
Il entra avec curiosité, poussant délicatement le petit battant de la porte. Chaque passant lui avait conseillé l'adresse, et pour cause ! L'exigüité de la boutique n'avait d'égale que le grandeur du choix qu'elle offrait. Revers "three roll two", épaules napolitaines, boutonnières milanaises… L'ampleur des détails sartoriaux, et la noblesse des tissus satisfaisaient aussi bien l'amateur que l'expérimenté. Otto passa près de deux heures à sonder le magasin en quête de pièces toujours plus distinguées, à les essayer, les comparer etc. Le laborantin avait affaire à l'une de ses sciences favorites : l'art d'imiter la nonchalance ou de simuler cette aisance travaillée, en bref la Sprezzatura au sens pur.
La porte de l'échoppe s'ouvrit à nouveau, et l'on le vit descendre le perron, chargé de maints sacs. En sortant du magasin, le dandy, éminemment fier de ses acquisitions, arborait un sourire radieux et impatient. Ce qu'il transportait là, c'était plus que des vêtements, c'était l'or des coquets.