Artère principale

- Ah.

Elle parut la première surprise en ramassant la pièce, et la récupéra avant de la fourrer dans sa poche. 


- Merci à vous, je ne pensais pas vraiment tomber sur quelqu'un d'honnête ici à vrai dire.

Elle se redressa et adressa un sourire à la petite fille. 


- Je suis Scarlett Cross, et vous même ?

Pas un instant, elle ne semblait s'être demandée si cette pièce lui appartenait bel et bien. A aucun moment ne lui était venue l'idée de vérifier le montant de son porte-monnaie. Ce constat fit sourire en coin Apolline. Un sourire qui s'élargit lorsqu'elle se présenta à son tour. La dénommée Scarlett lui souriait. L'attitude à adopter était sans aucun doute de lui renvoyer la même expression. Pour l'instant, tout semblait bien se passer. Mais ce n'était que le début.

" Apolline Doucet, de la famille Doucet. Enchantée. Enchantée. C'était une formule de politesse agréable et respectueuse, la plus adaptée si Apolline voulait entretenir une relation cordiale. Loin de moi l'idée de paraître intrusive... Ne pas la brusquer. ...mais il me semble que vous ne diriez pas non à un peu de compagnie ? Ne pas la vexer, ne pas insinuer trop explicitement qu'elle est visiblement effrayée. Me laisseriez-vous ?... " Et ce, toujours en exagérant bien son accent français, comme à son habitude.

- Enchantée également..

Dira t'elle en faisant une petite révérence enfantine, avant de répondre en souriant. 


- Un peu de compagnie ? Ma foi pourquoi pas, mademoiselle Doucet. J'allais rendre visite à mon frère chez Barjow & Beurk, voyez vous.

Elle pencha la tête sur le côté, intriguée. 


- Et vous même, si je puis me permettre, que faites vous ici ? Vous n'êtes pas sans savoir que ce n'est pas un endroit très fréquentable, n'est ce pas ?

Une révérence. Enfin une personne civilisée, pensa-t-elle. Jusque-là elle n'avait rencontré que des rustres, à l'exception de ce Charles. Mais Charles était un garçon, et il était faible. Cette fois, elle avait affaire à quelqu'un d'intéressant.
Apolline fut satisfaite d'entendre Scarlett répondre favorablement à sa proposition. Cela voulait sûrement dire qu'elle avait fait bonne impression.

- Je me ferai une joie de vous accompagner, dans ce cas. Pour tout vous dire, Miss Cross, j'ai réalisé par moi-même, à la suite de quelques mésaventures, que cette ruelle avait tout d'un coupe-gorge. Mais voyez-vous, cela ne me fait pas peur, dit-elle fièrement. Trop arrogant, sûrement. Vite rebondir. A dire vrai, je reviens de chez le tatoueur, qui se trouve quelques pas plus loin. "

Était-ce une bonne idée de lui montrer le tatouage ? Elle ne saurait le dire. Elle le lui montrerait seulement si elle le lui demandait. Elle le lui demanderait sûrement. Un tatouage, c'est intéressant. Elle le pensait.

- Un coupe gorge, c'est le bon terme.

Fait elle remarquer en ouvrant la marche vers la boutique, les mains dans le dos. 


- Un tatoueur, vraiment ? A votre âge ? Que vous êtes vous faites tatouer, si ce n'est pas indiscret de demander ? 


Surement une future Serpentard dans la fleur de l'âge, pensa t'elle. Ou une Poufsouffle, c'est bien aussi Poufsouffle. 

Intérieurement, Apolline jubilait. Si bien qu'elle avait du mal à le dissimuler, et un sourire résolument enfantin se dessina sur son visage. D'aussi loin qu'elle se souvienne, c'est probablement la première fois qu'elle avait une discussion normale avec une fille de son âge. Qu'elle inspirait une curiosité simple, et non morbide. Elle avait vu juste, son tatouage était intéressant. Scarlett était intéressée par elle. Et ça lui faisait terriblement plaisir.

Tout en marchant à ses côtés, elle releva sa manche. Seulement de moitié, hésitant un instant. Qu'allait-elle en penser ? Peut-être cela allait-il tout gâcher. Mais il était trop tard pour faire marche arrière, au moins en aurait-elle le coeur net. Le tatoueur avait dit quelque chose au sujet de sorciers extrémistes, de pureté raciale. Une sorcière qui torture un moldu. Mais peut-être cela n'était-il pas si évident, si l'on n'était pas au courant.
Elle finit de relever sa manche et exposa son bras aux yeux de Scarlett.

La jeune fille put y voir une petite sorcière faite d'encre courir sur la peau d'Apolline, à la poursuite d'un homme d'encre lui aussi. La sorcière lança un sortilège, et l'homme s'embrasa soudainement, avant de finir en un tas de poussière. Une masse informe, qui bientôt reprit forme humaine. Et la course poursuite reprit, l'homme s'échappant sous la manche relevée, vers l'épaule d'Apolline, la sorcière à ses trousses.

" C'est une sorcière qui lance toutes sortes de sortilèges sur... quelqu'un. Sur un homme, oui. Et cela ne s'arrête jamais. J'ai trouvé ça plutôt amusant. "

Son sourire, qu'elle voulait candide, avait plutôt l'air mauvais.

Scarlett s'arrêta pour mieux observer le tatouage, intriguée. Puis légèrement effrayée ensuite. Quel sinistre représentation, pensa t'elle intérieurement, alors qu'elle décrivait des yeux la scène qui se déroulait sous ses yeux. Néanmoins, ne voulant pas se désarmer face à sa future camarade, elle demanda simplement.


- Ca ne vous a pas fait mal ? D'autant plus qu'il est mobile. Ou peut être s'agit il uniquement d'un enchantement par l'encre ? 

Elle reprend sa marche, tout en commentant. 


- Enfin, admettez que la scène est assez... particulière.

Apolline secoua négativement la tête.

" Pas la moindre douleur, non. Vous avez vu juste, c'est flatteur, c'est un genre d'enchantement. Le tatoueur récupère le motif sur une sorte de feuille à l'aide de sa baguette, et le dépose simplement sur votre peau. Il peut d'ailleurs l'enlever avec tout autant de facilité, à ce qu'ils m'ont dit. Si cela vous intéresse, vous pouvez essayer sans crainte. Vous pouvez même décider d'une certaine durée, après laquelle le tatouage s'effacera de lui-même. "

Son interlocutrice reprenant sa route, Apolline fit de même. Comme elle l'avait supposé, le tatouage avait fait réagir la jeune fille. En bien, ou en mal ? L'heure était venue de prendre la température. Elle pourrait toujours jouer l'innocente, prétendre que cela n'était que bon enfant à ses yeux, si jamais la Cross voyait ça d'un mauvais oeil.

" Vous trouvez la scène particulière ? Que voulez-vous dire ? Qu'est-ce que cela vous inspire... exactement ? "

- Je vois, j'y penserais dans ce cas, même si je n'ai aucune idée de quoi me faire tatouer.

Dit elle avec un air désintéressé. 


- Eh bien, peu importe sous quel angle on le regarde, cela représente le meurtre de quelqu'un qui prend la fuite. On ne connait pas la raison de celle ci, ni celle du meurtre, mais c'est assez... intriguant, je dirais ? 

Finit elle par concéder avec un air songeur.


- Et vous, que cela vous inspire t'il ?

Intriguant ? Miss Cross ne se mouillait pas trop ici, ne donnait pas vraiment d'avis tranché. N'en avait-elle vraiment pas, ou essayait-elle de faire preuve ici d'une neutralité feinte qui flirtait avec la lâcheté ? Quoiqu'il en soit, Apolline s'en trouvait autant déçue qu'irritée. Elle avait bien du mal à cerner cette jeune fille, l'un de ses objectifs premiers, et ne savait donc pas sur quel pied danser. Scarlett avait raison, c'était une série de meurtres qu'elle avait fait tatouer sur son bras, à la représentation graphique assez crue. C'était déjà bien assez étrange, et pouvait la faire passer pour un genre de psychopathe. Peut-être valait-il mieux jouer franc-jeu ici.

" Un meurtre, oui, si l'on veut. Mais... Elle s'arrêta, plongea un regard froid et sérieux dans celui de Scarlett. Mais pour moi, c'est avant tout symbolique. Plus qu'un meurtre, c'est une victoire. Celle de la femme sur l'homme. "

Après tout, tout était souvent question de symbolique, en matière de tatouages.

Scarlett réfléchit. Symbolique ? La victoire de la femme sur l'homme ? Cela l'intriguait beaucoup, même si d'extérieur, elle restait de marbre. Elle répondit, d'une voix calme et sereine. 


- Intéressant. Une vengeance, en quelque sorte, c'est ça ?

Une vengeance, oui, il y avait de ça. En réalité, ce n'était rien de plus. Mais Apolline préférait croire que son objectif était plus noble, qu'elle se battait non pas pour elle-même, mais pour toutes les femmes.

" Pas une vengeance, non. Pas exactement. Une révolte, plutôt. Contre la tyrannie, contre l'opression dont nous sommes victimes. "

- Je vois. C'est plutôt honorable comme cause. Courageuse, même. 

Fait elle remarquer. Elle ajoute ensuite, perplexe. 


- Il s'agit de votre objectif de vie, la révolte ?

Les mots de la jeune fille n'étaient pas tombés dans l'oreille d'un sourd. Apolline se sent soutenue, satisfaite d'entendre sa cause validée de la sorte. Elle avait peur d'être prise pour une folle, mais Scarlett semble capable de la comprendre. Elle se détend enfin, reprend d'un ton un peu plus léger :

" Mon objectif, oui, mais... Pas seulement. Je dirais que c'est même ma raison de vivre. Je vous suis reconnaissante de comprendre et d'honorer mes opinions, qui pourraient sembler extrêmes à beaucoup d'autres. Je sais que de nombreuses femmes acceptent leur sort, et se contentent de la place indigne et dégradante qu'elles ont dans la société d'aujourd'hui. Elles-mêmes seraient capables de me traiter de folle ! Mais c'est elles que le monde a rendu folles. Elles n'aspirent à rien, ne rêvent pas des droits qu'on leur refuse, acceptent résignées de se contenter du bas de l'échelle. "

- Ça faisait longtemps, mon cher Sang-de-Bourbe préféré.

Dit une voix derrière Edward.

Le Mosley s'arrêta vertement dans sa marche, sans toutefois se retourner. Laissant passer un certain silence, il vint finalement à éclater d'un rire à gorge déployée avant de se retourner vers son interlocuteur.

- Que vois-je donc, messieurs dames, que vois-je donc ?! Serait-ce le Malin qui me jouerait des tours ?! Richard !

S'exclama-t-il de son usuelle voix badine.

Richard sourit au Serpentard.


- En personne. Tu ne t'es pas trop ennuyé, dis-moi?

Le Mosley singea une mine affectée avant de répondre au québécois d'une manière excessivement dramatique.

- Oh, Richard ! Que ne me suis-je pas senti perdu sans toi ! Imagine donc un peu ce que peut ressentir un pauvre chien à la fidélité inébranlable abandonné par son maître !

Ou encore un Méphistophélès sans son Faust.

Richard rigola aux propos d'Edward.


- J'essaye de m'imaginer, mais malheureusement je n'y arrive pas. Que fais tu donc ici, dans l'allée des Embrumes?

- Je flâne Richard, je flâne en attendant la naissance du petit Jésus !

S'écria le Mosley d'un ton qui put tout aussi bien paraître sérieux que badin, certainement à dessein.

- Et toi ? Ils ont pas de coin malfamé comme celui-ci en Russie pour que t'aies besoin de venir jusque là ? Je pensais au contraire qu'il en grouillait, pourtant.

- Ah, mais c'est les vacances de Noël mon cher Edward. C'est bien Durmstrang, tu devrais venir m'y rejoindre au fait, mais ça fait toujours du bien de revenir dans ma chère Londres.

- Impossible, Richard. J'en ai déjà parlé à mon géniteur avant même d'entrer à Poudlard. C'est un nationaliste, tu sais. Si sa progéniture ne va pas dans une école britannique, il pourrait bien faire une syncope.

Répondit le Mosley d'une voix rageuse avant de glisser dans un murmure.

- Puis il y a c-cette.. faiblarde.

Richard haussa les épaules.


- Ah mais je crois me rappeler que Durmstrang n'accepte pas les Sang-de-Bourbe, de toute manière.

Il haussa ensuite une sourcil.


- Cette faiblarde? Mais de qui parles-tu?

- C'est une longue histoire, Richard. Trop longue pour être racontée sous la pluie, en plus dans un endroit aussi malfamé.

Expliqua l'anglais d'un ton faussement dépité avant de réajuster sa capuche en constatant que la tempête s'intensifiait.

- M'enfin, tu ne comptes pas revenir à Poudlard, je me trompe ? Peut-être pourrions-nous au moins échanger par courriers, dans ce cas.