Une fois ayant pleinement pénétré dans l'Allée des Embrumes, la jeune fille comprit rapidement pourquoi celle-ci était bien moins fréquentée que la rue jumelle. Elle avait soudain l'impression d'être entrée dans un autre monde, un versant bien plus inquiétant du Chemin de Traverse dans lequel elle se trouvait auparavant. Il régnait ici une atmosphère des plus lugubres dont elle ne prenait conscience que trop tard. L'ombre qu'elle croyait avoir perçue s'apparentait davantage à de l'obscurité, de celle dans laquelle demeurent toutes ces choses qui ont tout à gagner à rester à l'abri des regards. Et cette fraîcheur qu'elle avait espérée ? Davantage un climat glacial, aussi froid que les visages des quelques sorciers malintentionnés qui à son passage lui jetaient des regards plus noirs encore que leurs tuniques.
De noirs regards qu'elle ne manquait pas de rendre à chacun d'entre eux, s'évertuant à paraître impassible alors même que des frissons d'effroi parcouraient son échine. Quand bien même elle se sentait clairement en danger, elle préférait encore traverser cette rue plutôt que de retourner affronter le flot humain qu'elle avait fui. Alors qu'elle continuait d'avancer fièrement, le dos droit et le menton relevé, brisant le silence pesant par le bruit répété des roulettes de sa valise qui butaient sur les pavés, un constat terrifiant la frappa soudain : si les jeunes sorciers pullulaient dans le Chemin de Traverse, ici elle était clairement l'unique fillette à s'aventurer parmi ces boutiques inquiétantes. L'hésitation s'empara alors d'elle, et elle s'arrêta un instant : si elle était la seule enfant ici, c'est forcément qu'il y avait une bonne raison. Peut-être ferait-elle mieux de rebrousser chemin...
Un grand sorcier aux cheveux grisonnants, remarquant qu'elle était plantée au milieu de la rue, la toisa de deux yeux inquiétants. En s'approchant d'elle, il eut un petit sourire, dont on n'aurait su dire s'il avait quelque chose de bienveillant, ou au contraire, de mauvais. Le voyant arriver, elle le regarda d'un air glacial, fit de son mieux pour cacher sa peur. Mais l'homme savait parfaitement à quel point elle était terrifiée, ses tremblements ne lui échappaient pas. Il s'arrêta à quelque pas à peine, resta planté là quelques secondes, laissant monter en elle une tension insoutenable...
Avant de se pencher soudainement et de crier : " Bouh ! " avant de rire méchamment.
Apolline sursauta comme si un coup de feu venait de retentir et ne put réprimer un petit cri. Alors que son coeur battait encore la chamade, elle se sentit honteuse et terriblement insultée en comprenant que le sorcier venait simplement de lui faire une mauvaise blague. Elle l'observa s'éloigner derrière elle, le visage pourpre et courroucé.
C'est à cette occasion qu'elle l'aperçut : un garçon, de son âge, quelques pas plus loin en arrière. Finalement, elle n'était pas seule dans cette affreuse allée. Elle croisa son regard, et comprit au même moment qu'il avait probablement profité de toute cette scène ridicule, puisqu'il était de toute évidence en train de l'observer. Elle reprit rapidement son calme, se racla la gorge, et se dirigea droit dans sa direction, avec la ferme intention de lui dire à quel point il était impoli de fixer les gens, mais aussi qu'il n'avait pas intérêt à se moquer d'elle, ni à raconter à qui que ce soit ce qu'il avait vu ici.
En réalité, après une telle frayeur, elle n'avait surtout pas envie de faire un pas de plus en solitaire au milieu de ces sorciers bizarres.
Elle vint se planter devant lui, les mains sur les hanches.
" Vous appréciez le spectacle ? " dit-elle d'un ton accusateur.