Un subtil grincement de porte se fait entendre brièvement : l’entrée du côté moldu, à l’accoutumée peu usitée, s’ouvre subrepticement. Par l’entrebâillure ainsi créée, un marchand se glisse pour pénétrer dans la brasserie. Il réajuste ses lunettes du bout du doigt ; un doigt noir comme le reste de sa peau. Il rappelle l’Afrique. Mais pas uniquement : son costume, digne d’un dandy londonien, témoigne d’un capricieux désir de vivre à l’occidentale. Il balaye l’assemblée du regard avec indifférence jusqu’à trouver son client, attablé en solitaire dans un coin de la pièce. Il s’en approche, s’assoit face à lui sans un mot et dépose la mallette sur la table avec une extrême parcimonie.
— Tout est là ?
— Tout est là.
— Nous l’espérons.
Le client se saisit de la mallette et commence à se lever.
— Minute.
— Je crains de ne pas l'avoir. Un problème ? souffle le client, un brin agacé.
— J'ai pris plus de temps que prévu pour trouver ce que vous demandiez.
— J'en suis désolé. Mais nous avons payé.
— Plus assez, justement. Vous avez lu Smith ? Adam Smith, j'entends. demande le marchand, un sourire badin aux coins des lèvres.
— Quel rapport avec notre affaire ?
— La valeur-travail commandé. La valeur d'une marchandise dépend de la quantité de travail que sa vente permet d'acheter. Ayant dû travailler deux fois plus qu'initialement prévu, vous devez encore me verser la moitié de ma rétribution.
Le client se rassoit, dépose la mallette à ses pieds et darde silencieusement sur le marchand un regard irrité. Il n'est pas en position de négocier et le sait pertinemment.
— Crapule. commence-t-il d'une voix brève en jetant une bourse au marchand. Vous vous doutez bien que je n'ai pas sur moi tout que ce que vous demandez.
— Je suis un homme extrêmement conciliant, mon brave. Vous n'avez qu'à me faire parvenir le reste de mon dû dans les jours à venir. Après tout, ce n'est pas comme si vous étiez en mesure de me duper, alors…
Un serveur s'approche de la table des deux hommes, probablement empreint de cette sollicitude commerciale distinguant le bon du mauvais commis, et s'apprête à leur faire passer commande lorsque son pied rencontre malencontreusement la mallette. Catastrophe. Le choc fait sauter le fermoir et laisse s'échapper dans la brasserie un immense grognement que le marchand étouffe aussi vite qu'il le peut en replaçant correctement l'attache du bout de son catalyseur. Mais le mal est déjà fait. Le serveur reste coi tandis que les deux hommes se saluent du regard pour entériner leur marché avant de s'éclipser vertement chacun de son côté ; le marchand par la porte des moldus, le client, mallette en main, par celle des sorciers.