Siège du Colporteur

- Ooouuuh... 

Lâcha-t-il avec amusement en remarquant ce comportement de canidé dont elle faisait preuve. Il ouvrit le sachet avec précaution, attrapa le morceau de chair du bout des doigts, posa les pieds sur le bureau de Suzy et se mit à viser. Il balança la chose au visage de Suzy. 


- Attrape Suzette ! Attrape ! 

S'exclama-t-il avant d'exploser de son rire saugrenu. La seconde suivante, il prit un ton plus grave. 


- Ah, et elle est morte. 

Il se mit à observer la réaction de la folle furieuse à cette fausse affirmation. 

C'est tout le corps de la Serdaigle qui semble alors s'affaisser suite à cette affirmation. Ses jambes ne la soutiennent même plus : si le sbire ne la maintenait pas dans son étreinte de fer, elle se serait affalée sur le sol. Elle ne s'est pas mise à défaillir, mais simplement son corps s'est entièrement détendu sous l'effet d'un soulagement intense. Elle se met alors à pleurer à chaudes larmes, comme un nourrisson. C'est la première fois, depuis de nombreuses années, qu'elle se surprend à pleurer. La dernière fois, c'était de désespoir. Aujourd'hui, c'est en croyant ses rêves devenus réalité, son seul et unique but véritable enfin atteint. L'accomplissement du pitoyable simulacre de vie qu'elle s'est forcée à mener jusqu'ici. Son visage, jusque-là affaissé, se redresse alors. Et le regard qu'elle porte sur Valentine, qui pourtant la tient entre ses griffes, exprime une gratitude infinie.

" Je n'en espérais... pas tant, Valentine. Je t'ai... sous-estimé. Je ne te croyais pas capable d'aller aussi loin. Mais... Merci... Merci. Si tu savais... comme j'en ai rêvé. Si tu savais ! "

En cet instant, celle qui travaille son image et bâtit sa fierté paraît plus pitoyable que jamais, mais elle ne s'en soucie guère. Elle a eu tout ce qu'elle voulait.

" Cette chienne a eu ce qu'elle méritait. Dis-moi, dis-moi qu'elle a souffert. "

- Je déconne. Nishishishishi ! Tu verrais ta gueule, bon sang ma Suzette, c'est merveilleux. 

Dit-il l'air badin. 


- Je ne vais pas détailler ce que nous lui avons fait, tu l'apprendras de ceux qui entendront son témoignage. Si t'es trop précise dans ton article par rapport à ce qu'elle dit, tu vas te compromettre, et vu tes scénarios j'te soupçonne de vouloir entrer dans le détail. Ah, je déconne mais... Mais on pourrait le faire. On pourrait la buter pour toi. On pourrait être bons amis ma Suzette, tu sais. Mais... 

Le sbire qui lui faisait face lui mit un énorme coup de poing dans l'estomac, suffisamment fort pour faire vomir une personne qui venait de manger. 


- Mais j'te soupçonne d'oeuvrer un peu contre nous. Ah, c'est con ça ! 

L'ironie dans sa voix se faisait de plus en plus palpable. 


- Tu connais mon identité, et tu t'amuses à publier les menaces d'un ahuri qui cite clairement "le préfet d'émeraude" dans ton torchon. C'est étrange, dis-moi. Ce serait quand même pas toi la débile à la citrouille, pour faire un peu plus sensation ? Non, non, t'es pas assez stupide. 

Il fit une pause, pendant laquelle il fixa la jeune fille avec cruauté. 


- On pourrait être bons amis, ouais. Tu pourrais publier cet article en accusant les misérables sang-de-bourbes de l'Alliance comme prévu. Tu pourrais fermer ta gueule. Tu pourrais arrêter de publier des idioties compromettantes dans mon dos. On pourrait tuer Rinwell, comme ça. Même faire d'autres choses pour toi. Ouais, on pourrait. Ou alors...

Un autre coup s'abattit sur elle, un coup de pied dans le creux arrière de la jambe venant du sbire qui la retenait, la faisant ainsi tomber à genoux.

- Ou alors tu peux continuer comme tu le fais, sans prendre gare. Mais ma bonne Suzette... Tu crois tout savoir, mais tu ne sais rien. Tu sais pas combien on est. Tu sais pas qui on est. Tu sais pas ce qui se prépare. Tu sais pas ce qui se passe en dehors des murs de ce château. Tu sais rien, tu sais même pas les risques que tu prends en donnant voix à nos ennemis. Tu sais pas ce qui se passera quand on aura gagné, ce qui t'arrivera si tu continues sur cette lancée, ça tu sais pas... Nishishi... Tu as peut-être des yeux partout dans cette école, mais nous avons toujours des yeux sur toi. Toujours. Hopehill Road Day Industrial School, 62, Hopehill Road, Glasgow, Larnarkshire. Chambre 347, 3ème étage sur la gauche en partant de l'escalier. Chambres voisines : Elena O'Donnel et Jane Fenwick. Ça te dit quelque chose ? 


Il se leva enfin pour s'approcher d'elle, un large rictus défigurant son visage. 


- Maintenant que c'est dit, j'ai un autre marché à te proposer.

Après les deux coups, Suzy est à genoux. La douleur est exquise. Exquise dans le sens où elle s'en repaît. Elle ne s'imagine que mieux celle que Rinwell a enduré. Alors, la Poufsouffle n'est pas morte. C'est évidemment une déception, quelque part, pour la Serdaigle. Mais il y voit aussi le bon côté : elle aura probablement d'autre occasion de la voir souffrir. C'est peut-être même mieux ainsi. Face au Serpentard, elle penche d'abord la tête vers le sol, et souffle du nez. Amusée. Lorsqu'elle redresse son visage, c'est pour rendre son sourire à Valentine.

" Être bons amis ? Mais qui te dit que je veux de ton amitié, Valentine ? Je n'ai pas d'ami - et n'en désire aucun. Je ne connais que des ennemis, toujours plus nombreux à chaque jour qui passe. Et comme tu le dis toi-même, je ne suis pas si stupide. Crois-tu qu'une personne avec tant de baguettes pointées dans sa direction ne prend pas ses précautions ? Tu penses vraiment que je suis la seule au courant de ta présence ici ? Que je suis la seule à savoir pour vos petites manigances, à toi et ton groupe de nazillons écervelés ? "

Elle perd alors son sourire, et son regard semble habité tant par la folie qu'une absence totale de peur qui en découle. Suzy Sue n'est pas de celles qui se laissent abattre, qui courbent l'échine devant quiconque. Suzy provoque, Suzy grande-gueule, et qu'importent les conséquences.

" Touche-moi encore une fois, Valentine, et tu finiras pendu comme ton chien de frère. Nishishi. Tu crois que tes menaces m'effraient, pauvre imbécile ? C'est là toute la différence entre toi et moi : moi, je n'ai rien à perdre. Rien à foutre de rien. Je peux tout balancer, et crever demain, que ça ne me fait rien. Moi, je n'ai rien à craindre, je n'ai rien fait ; c'est toi, et toi seul qui t'es sali les mains. Tu es déjà dans le collimateur de Travers, et moi dans ses petits papiers. Quelques mots à peine, et je te fais sauter. Alors j'ai moi-même un marché à te proposer : et si t'allais plutôt te faire enculer ? "

Un violent coup de pied vint frapper la tempe de Suzy, la laissant sonnée quelques instants. 


- Nishishi... Je te pensais suffisamment fine pour comprendre le terme de "bons amis" comme autre chose que de l'amitié. Qui voudrait de toi ? Ta môman a préféré se suicider que de t'élever, ne t'attends donc pas à mieux ma bonne Suzette. 

L'un des sbires releva la tête de Suzy en la tirant d'un coup sec par les cheveux, et elle se prit un second coup de pied du même accabit. 


- Du bluff, tu n'as que cela pour te défendre. Tout le monde se fout bien de ton sort, si on te butait ici et maintenant, personne n'irait balancer quoi que ce soit. Si d'aventures tu avais effectivement des gens au courant de ma présence, cela voudrait dire que tu les menaces pour les faire agir. Sans toi, plus de menace... Sans toi, plus besoin d'obéir. Tout le monde s'en fiche. Quant à ce traître à son sang de Travers, être dans ses petits papiers ne veut pas dire grand chose. 

Il sortit lentement sa baguette, et la pointa sur Suzy, avant d'informuler un sortilège qu'elle ne connaissait pas. Ses vêtements commencèrent à lui infliger une douleur cuisante et diffuse, le genre de douleur qui ne poussait qu'à hurler à la mort. 

- C'est quand même con, d'avoir insonorisé ton bureau Suzette. Enfin bref... Nishi... Nishishishi... J'm'en fous de tomber, au pire. Tu te donnes une importance ici, tu te crois puissante, mais dehors tu n'es rien. Moi, c'est tout l'inverse. Si je passe par Azkaban pour meurtre, j'y resterai pas bien longtemps. Donc crois pas avoir l'ascendant. Soit tu acceptes, soit on ira jusqu'au bout, et on verra bien qui écoutera tes consignes après ta mort.

Il lui faut quelques instants pour reprendre ses esprits, aidée en cela par la douleur atroce qui irradie son corps. Malheureusement, Valentine est loin d'être stupide, lui aussi. Il a terriblement raison à son sujet : personne ne l'aime. Elle morte, personne ne se souciera plus de rien, ni de ses menaces, ni de ses directives, ni des secrets qu'elle emporterait dans sa tombe. Il est vrai qu'il a l'ascendant sur elle ; il est vrai qu'au fond, elle n'est rien. Cela, elle le sait bien, et s'en fiche comme de son avenir. Mais est-ce pour autant qu'elle va ployer l'échine ? Non, bien évidemment. Plutôt mourir, pour ce que ça vaut. Sous la douleur, elle serre les dents. Elle refuse de lui donner le plaisir de l'entendre hurler. A grand peine, elle s'efforce de parler :

" Tsss... Tu m'as bien cernée, Valentine, siffle-t-elle à travers sa mâchoire serrée. Je dois l'avouer... Enfin, presque. Menace comme il te plaît... Frappe tant que tu veux... Si tu crois obtenir quoi que ce soit de moi ainsi... c'est mal me connaître. Ce n'est pas comme ça... que je marche. Tu devrais le savoir... depuis le temps. Non ? Avec moi... rien n'est gratuit. Tu peux même me tuer, si ça te chante : tu as déjà fait pour moi... ce que je voulais que tu fasses. Il faudra juste te passer de mon aide... à l'avenir. Mais si tu veux marchander avec moi... fais-le... proprement. "

Dans tous les cas, si par chance il lui arrive de revoir l'aube se lever, elle ne lui fournira plus le moindre soutien. Elle ne vivra plus que pour se venger de lui, de l'affront qui lui est fait, et ne manquera pas une seule occasion de se venger, peu importe les moyens nécessaires. Pour Suzy, que seule la haine anime encore, ce serait une nouvelle raison comme une autre de se lever chaque matin.

- Oh, Suzette a une fierté. C'est beau. C'est beau, mais on s'en fout nous. Ce qu'on veut, c'est des garanties. Pas perdre du temps avec toi. Récapitulons, si tu meurs, on est tranquille. On a malgré cela la bonté de te proposer une alternative. 

Un autre coup fusa, droit dans ses cottes. 


- Et tu nous fais perdre notre temps. Enfin, dans notre infinie bonté, on va essayer autrement. Tu sais bien que si tu meurs ce soir, tu ne verras jamais les souffrances de Rinwell. Celles qu'elle subit actuellement, mais aussi les autres, celles qui viendront... N'est-ce pas un moteur suffisant pour ravaler un peu ta fierté mal placée de sous-sorcière ? C'était si bon pourtant, si succulent ! Tu semblais y prendre tellement de plaisir... Cela ne vaut-il pas un dernier petit arrangement avec nous, et quelques garanties pour l'avenir ? On peut faire bien des choses, si tu demandes gentiment et que tu rentres dans le moule. 

Encore un coup, dans la cuisse. Après cela, Valentine tira de sa poche un long poignard argenté couvert de sang coagulé, et fit un large sourire. 


- Nishishishi... Notre patience a des limites.

Une fierté ! Malgré la douleur, Suzy parvient encore à souffler du nez. Non, cela n'a rien à voir avec la fierté. Ce n'est pas ça. Comme beaucoup de ceux, aigris, qui haïssent le monde, la Serdaigle n'a jamais su s'aimer. Fille étrange d'un meurtrier et d'une suicidée, elle n'a pour ainsi dire jamais eu le moindre amour propre. Tout juste en donne-t-elle bien l'impression. Non, ce n'est pas de la fierté. Si elle aboie tant, c'est davantage dû à la rage. Mais c'est surtout une question... de principes. Il en faut, pour faire tourner une affaire. Enfin... Encore un qui croit l'avoir cernée. Qu'il le croie, s'il le veut.

Suzy lorgne sur le couteau. Peut-elle vraiment mourir aujourd'hui ? Elle n'en est plus si certaine. Elle se met à penser qu'elle préférerait voir Valentine pendu au bout d'une corde avant qu'elle ne rende son dernier souffle. Non, elle ne mourra pas aujourd'hui. Elle survivra, même si cela implique de faire mine de s'écraser. Pas pour voir Rinwell souffrir davantage. Elle vivra encore, seulement pour se venger. Valentine ne perd rien pour attendre.

" Demander gentiment... dit celui qui frappe avant de parler. Effectivement, c'est une conception... très personnelle de la patience... Allez, va. Propose ton marché. Tu aurais peut-être dû commencer par là... non ? "

Pourrait-il la tuer ? Sûrement. Il serait prêt à le faire. Mais s'ils sont encore à marchander, s'il ne l'a pas encore égorgée, c'est certainement pour une raison, et non pas par clémence. Il doit encore avoir besoin d'elle, tout simplement. Heureusement pour elle. Malheureusement pour lui.

- Eh ben tu vois, quand tu veux ? Nishishi...

Il sortit de sa poche un parchemin qui contenait diverses instructions : 


"1) Interdiction de dévoiler mon implication dans cette affaire au personnel de l'école ou aux autorités. 


2) Interdiction de publier à l'avenir des articles trop compromettants pour des membres de notre organisation, tel que ce fut fait avec les menaces nominatives de la citrouille. 


3) Si notre organisation soumet un article, interdiction d'y apporter la moindre modification. Interdiction de refuser la publication. 


4) Si notre organisation donne des consignes à propos d'un article à paraître, obligation de les respecter. 


5) L'identité de la citrouille devra être révélée prochainement, ou un moyen de l'atteindre fournit." 


Valentine savait bien que son premier point n'était pas parfait. Il savait bien, que Suzy était ce qu'elle était, et qu'il lui donnait bien assez de matière à vouloir se venger. Il imaginait bien qu'elle irait quémander de l'aide et magouiller avec d'autres personnes que la direction, que le personnel, ou que les autorités. Il savait bien, et cela le fit sourire. Carrow était joueur. Carrow voulait se mettre en danger, parce qu'il voulait se montrer plus fort que l'adversité, plus fort que son raté de frère, et vaincre malgré tous les risques. Parce qu'il voulait aussi une bonne raison de régler son compte à cette catin de Suzette, une véritable épine dans le pied. Mais cela, il se garda de le dire, faisant mine d'être simplement assez idiot pour laisser passer une telle faille dans ses exigences. 


- Tu devras t'engager à tout cela, sous serment inviolable. 

Expliqua-t-il avec un sourire guilleret, avant de pincer la joue de Suzy comme certains le faisaient aux enfants. 


- Nishishishi...

Suzy dégage son visage des crocs du serpent. La faille, elle la voit. Comme le nez au milieu de la figure. Elle est évidente, grossière, surtout venant d'un être aussi malin que Valentine. Il n'a pas laissé une telle ouverture par hasard, elle en est certaine. Mais à quoi joue-t-il ? De cela, elle n'en est pas certaine. Mais elle aussi, elle veut jouer. Elle est prête à prendre les paris. On verra qui des deux, au final, avait la meilleure main. Si Suzy ne peut plus compter sur la Direction, tant pis : elle trouvera d'autres alliés. Ce ne sont pas les possibilités qui lui manquent.

" Hé bien... Tu en demandes beaucoup, Valentine. Je veux bien y réfléchir... Mais un marché est un marché. Et Suzy est et restera toujours dure en affaire, quelles que soient les circonstances. Quelle est ta part ? "

- La vie sauve est une contrepartie plus que suffisante ma bonne Suzette, répondit-il gaiement. 


Il lui mit deux petites claques humiliantes sur la joue, sans forcer, sans lui faire mal. Simplement pour le plaisir de lui faire sentir sa vulnérabilité. 


- C'est ça, ou la mort, à toi de voir. Bien sûr, si tu restes sage et que tu ne fais plus de vagues, on pourra toujours voir au cas par cas pour répondre à d'éventuelles requêtes de ta part... 

Mais... Il savait bien que Suzy comptait faire des vagues. Sans doute était-ce même en partie ce qu'il cherchait. Ses "promesses" étaient tout à fait creuses, et en réalité ce marché ne lui assuraient vraiment que la survie, et donc une opportunité de se venger... Sans prévenir, il plaça son poignard au niveau de la jugulaire de Suzy, et appuya suffisamment fort pour lui faire mal sans la percer. 


- Mais rappelle toi dans quelle situation tu te trouves, avant d'avoir ne serait-ce que l'idée d'exiger des choses de nous. On avisera ensuite à ce propos. Nishishishi... Nishi ! Nishishi...

" La vie sauve "... Elle l'avait vue venir, celle-là. Ce n'est pas un marché : rien de plus qu'une parodie de marché. Tout comme Valentine ne lui semble être qu'un vulgaire stéréotype de mafieux. Il se rit d'elle qui se croit puissante, mais lui-même semble avoir laissé son pouvoir lui monter à la tête. Oui, ce chien ne perd rien pour attendre... Elle remuera le Ciel et la Terre pour le faire basculer de son piédestal, non sans lui avoir passé la corde au cou au passage. Elle n'aura de repos que lorsqu'elle aura froidement craché sur son cadavre encore chaud. Et alors, elle l'éventrera avec son propre poignard, et lui arrachera le coeur, si tant est qu'il en ait un.

" Tu es du genre impitoyable, en affaire... Je crois que tu ne me laisses pas beaucoup de choix. Soit. J'accepte, Valentine. "

Sans dire un mot de plus, Valentine se plaça bien face à Suzy, et attrapa sa main droite avec la sienne. Le sbire qui la retenait jusque là lâcha son étreinte pour ne pas interférer avec le rituel, tandis que l'autre sortit sa baguette pour remplir le rôle de l'enchaîneur. Valentine répéta chacun des termes auxquels la journaliste devait se plier à compter de ce jour, et à chaque acceptation de la part de celle-ci, l'enchaîneur fit jaillir un lien de flammes rouges qui vint enserrer leurs bras serrés ensemble, dans une certaine douleur tant pour l'une que pour l'autre. Suzy avait la vie sauve, mais à quel prix ? Qu'allait-elle bien pouvoir faire, maintenant qu'elle était prisonnière ? Le préfet d'émeraude n'en avait cure. Flanqué de son éternel rictus malsain, il se recula une fois ses conditions imposées, et la somma : 


- L'article sur Rinwell, je te laisse le rédiger comme bon te semble à la condition que seule l'Alliance prenne le blâme pour notre action. Aucune autre supposition n'est acceptable, c'est ce que doivent croire les élèves, et rien d'autre. Si tu as déjà des informations utiles pour trouver la citrouille, donne-les moi immédiatement. Si tu n'en as pas... Nishishishi... Nishi ! Nishishi... dépêche-toi d'enquêter.

Enfin libérée de ses chaînes, Suzy se redresse de toute sa hauteur. Bien qu'elle fasse peine à voir, avec ses bleus et blessures, cela ne l'empêche pas de se tenir avec la fière allure qu'on lui connaît. Tout en frottant son poignet douloureux léché par les flammes, elle se dirige alors vers son bureau, et reprend place sur son trône, comme elle a l'habitude de le faire. D'un geste sec, elle ouvre l'un des tiroirs, s'empare d'un parchemin froissé négligemment et l'abat sur le pupitre dans un claquement sec, avant de le faire glisser du côté de Valentine, les yeux rivés sur lui dans un regard qui ne dissimule rien de son ressentiment.

Le préfet se saisit du papier, qu'il lut avant d'esquisser un fin sourire. 

- Eh bien, ça te fait déjà une contrainte de moins, nishishi... Continue comme ça, et tu auras droit à un bel os. Sur ce... 

Il claqua des doigts et se dirigea vers la porte, en compagnie de ses deux sbires, dont l'un guettait Suzy du regard. 

- Prend soin de toi, ma petite Suzette. 

Après un dernier ricanement presque compulsif pendant qu'il déverrouillait la porte du bureau, il disparut dans le couloir, et les deux hommes masqués avec lui, l'air parfaitement guilleret.

Une fois Valentine sorti, Suzy vient fermer la porte à double-tour. Avant de laisser tomber le masque, et de s'écrouler, pitoyable, sur le plancher de son bureau, à pleurer des larmes de rage. Une chance que son bureau soit insonorisé, sinon quoi ses hurlements fous auraient retentit du septième jusqu'au premier étage. Elle sort enfin sa baguette, et vient soigner son visage abimé, lui d'ordinaire si charment mais présentement affreusement gonflé. Après quoi elle déchaîne sa colère, et saccage l'entièreté de son bureau à grand renfort de sortilèges destructeurs. Livres, bibelots et encriers s'explosent contre les murs sous ses assauts répétés.

Un court instant, où le malaise provoqué par le regard méfiant des deux gardiens, probablement en 6ème ou 7ème année, se fait de plus en plus palpable au fil des secondes, sentiment renforcé par leur silence inquiétant. Si Michael fait preuve de politesse, il ne lui répondent rien en retour, et se contentent de toiser les deux arrivants avec autant d'amicalité que deux gardiens de prison. Après un instant qui semble interminable, c'est plusieurs coups qui répondent à ceux donnés par l'Allemand, donnés à un rythme particulier semblable à une mélodie. Certainement un code dont seuls les matons ont connaissance.

Aussitôt, l'un deux, un grand blond à la mâchoire carrée, tend la main à plat comme s'il attendait quelque chose des deux élèves.

" Elle vous fait pas confiance. Vos baguettes, ou alors vous rentrez pas. "

Le gaillard se saisit des deux baguettes, et fait un signe de tête à son compère, un autre costaud tout aussi grand, tout aussi blond, au faciès assez avenant, que son expression désagréable ne met malheureusement pas en valeur. Celui-ci entreprend de fouiller brièvement mais avec soin les deux Poufsouffles, de la tête aux pieds, avant de rendre son signe de tête à l'autre gardien. Quelques coups sont encore donnés sur la porte, qui finit par s'ouvrir.

Dans l'entrebâillement apparaît alors un grand garçon à la chevelure d'un noir profond qui contraste avec son visage efféminé, à la peau d'une pâleur remarquable. D'une main, il tient la porte entrouverte, tandis que se trouve dans l'autre une pomme d'un rouge surnaturel, dans laquelle il croque généreusement. Tout en mâchant lentement la chair du fruit, il jauge les deux jeunes gens qui se présentent devant lui alors qu'il leur barre encore le chemin. Il met quelques secondes à reconnaître Charles de Vignolles, ce qui lui inspire par ailleurs un petit sourire en coin, accompagné d'un soufflement de nez. Il paraît réfléchir quelques instants, avale sa bouchée, et s'efface enfin pour laisser les deux garçons passer.

" Ils sont à toi, Sue. "

Une fois les deux Poufsouffles rentrés, il referme la porte à double-tour, avant de s'adosser non loin de celle-ci pour continuer d'y déguster sa pomme, feignant de ne plus se préoccuper davantage des deux visiteurs, qu'il garde pourtant à l'oeil.

Le bureau de Suzy est parfaitement rangé, comme à son habitude. De sa crise hystérique de la dernière fois, il ne reste aucune trace, le tout ayant été arrangé à l'aide de sortilèges de Reverte. Accoudée sur son pupitre, le menton soutenu par ses mains jointes, elle observe avec une froideur évidente les deux arrivants investir la pièce. Si leur présence la surprend, elle n'en montre rien, et leur fait simplement signe de s'approcher. Elle est avant tout curieuse de savoir ce qui peut bien mener ces deux-là en particulier à lui rendre visite ensemble.

" Installe... Enfin, installez-vous. Je n'ai pas l'habitude de recevoir plusieurs personnes à la fois, donc il n'y a qu'une seule chaise. Débrouillez-vous. "

Elle ne prend pas la peine de leur demander la raison de leur présence ; ils la lui diront certainement d'eux-mêmes. Inutile aussi de leur conseiller de se tenir à carreau : ce message-là est certainement déjà passé.