Les maudites cloisons de ce manoir de malheur ont été les témoins des pires atrocités, d'impénétrables rideaux de bois qui ont tenu secret tortures, sévices et meurtres en série, d'abominables crimes perpétrés au nom de la science et du progrès. Et pourtant, rarement ils ont vu se dérouler une tragédie comme celle de ce soir-là.
C'est la fin tragique de Morgan McAlistair, un homme à l'esprit génial, malheureusement corrompu par l'Envie et la Jalousie. Enfant de sorcier méprisé par la génétique, privé du moindre pouvoir magique par le destin cruel, il a vécu dans l'ombre de ses pairs dotés de capacités qu'il aurait dû avoir mais qu'il n'a jamais eues. C'était l'égal d'un vulgaire moldu, et pourtant un membre du monde de la Magie, il ne pouvait donc s'épanouir dans aucune de ces deux communautés, paria solitaire d'un côté comme de l'autre. Doté d'un grand intellect, il a toute sa vie cherché à comprendre d'où la magie pouvait-elle bien trouver sa source. Qu'est-ce qui différenciait les moldus des sorciers ? Un sang-pur d'un sang-mêlé ? La réponse se trouvait dans les gênes, et McAlistair était persuadé, à l'aide de la science, de pouvoir trouver un moyen d'extraire la magie d'un corps pour pouvoir faire de n'importe quel moldu un véritable sorcier. Ou n'importe quel Cracmol, bien entendu, à commencer par lui-même. Obsédé par cet objectif, il s'y est dévoué corps et âme, et a disons forcé ses sujets d'études à faire de même, dans un certain sens. Prêt à tout et surtout au pire, il a capturé bon nombre de cobayes, adultes comme enfants, sorciers comme moldus, pour pouvoir mener des expériences dont il est préférable de taire les détails. Il est l'auteur de crimes impardonnables, un meurtrier sans remord, et pourtant ses précieuses recherches auraient bien pu changer le monde s'il était parvenu à les mener à bien. Mais aujourd'hui il s'éteint, et avec lui son génie, et tout ce qu'il avait appris. Tous ses efforts, ceux de toute une vie, ainsi que les sacrifices de dizaines d'autres âmes innocentes, voués au néant, en un instant.
Mais il n'est pas la seule chose à mourir ce soir-là. C'est aussi la fin du temps de l'innocence, pour ces pauvres jeunes filles, aujourd'hui devenues meurtrières à leur tour.
Pour Saskia, qui a fini par se laisser consumer par la haine et la rancoeur qui gangrénent son coeur. Cette précieuse innocence, elle s'était efforcée envers et contre tout d'en garder une petite part au fond d'elle, car la vie avait toujours cherché à la lui arracher. Ce soir enfin, sous le coup brutal du sort, par la violence maladive de McAlistair, elle y est parvenue. La jeune fille a abandonné, cédé ce peu innocence qui lui restait au Diable, et a accepté d'être le monstre que le destin a fait d'elle. Elle s'est battue, comme on l'a battue, elle a frappé, comme on l'a frappée, elle a pris une vie, comme on lui a pris la sienne.
Pour Margaret également, à qui la vie n'a jamais souri. Elle a longtemps subi la violence, mais n'avait encore jamais connu la mort. Dans ce salon, elle est la spectatrice impuissante non pas seulement d'un simple meurtre, mais d'une barbarie sans nom, d'un déferlement de haine aveugle et incontrôlé qui lui était jusque-là inconcevable. C'est une jeune fille, tout comme elle, qui sous ses yeux se fait démone sanguinaire, qui s'adonne à une boucherie inhumaine et bestiale. L'image du corps lacéré de McAlistair, celle de Saskia couverte de sang frappant férocement son visage contre terre, la bouillie sanglante qui en résulte, tout cela restera à jamais gravé dans sa mémoire. Elle qui pensait connaître la violence découvre toute la brutalité, la sauvagerie dont l'être humain est capable.
Enfin, le tourne-disque se tait. Les deux jeunes filles se retrouvent seules, en compagnie d'un cadavre, dans un silence de mort seulement troublé par leurs sanglots traumatisés.