Le Rêve est une seconde vie. Je n’ai pu percer sans frémir ces portes d’ivoire ou de corne qui nous séparent du monde invisible. Les premiers instants du sommeil sont l’image de la mort ; un engourdissement nébuleux saisit notre pensée, et nous ne pouvons déterminer l’instant précis où le moi, sous une autre forme, continue l’oeuvre de l’existence. C’est un souterrain vague qui s’éclaire peu à peu, et où se dégagent de l’ombre et de la nuit les pâles figures gravement immobiles qui habitent le séjour des limbes. Puis le tableau se forme, une clarté nouvelle illumine et fait jouer ces apparitions bizarres : le monde des Esprits s’ouvre pour nous.
Les lettres de l'enseigne flottent comme l'épitaphe sur la tombe de la défunte normalité et de sa sœur la décence. Véritable temple de l'anormalité, centre névralgique d'expériences toutes plus folles les unes que les autres, on aurait pu croire que les portes des enfers avaient été ouvertes et ne se refermerait probablement jamais. Seringues, éclats de sang, potions aux lueurs inquiétantes, rien ne manquait à ce laboratoire de l'occulte qui tournait en permanence, jour comme nuit, Noël comme Sabbath.
Mathilde y était en perpétuelle en transe, parfois sous substances, étudiait le latin, les runes et les grimoires de Nostradamus plus intensément qu'elle ne l'avait jamais fait auparavant. Son troisième oeil était un don qu'elle exploitait à son paroxysme maintenant qu'elle était libérée de toute contrainte. On disait que se réunissait ici un petit groupe les soirs de pleine lune, et que Mathilde acceptait volontiers de prêter ses services aux individus les plus douteux du pays.