Siège du Colporteur

Suzy, le visage pourpre et les sourcils froncés, s'apprêtait à répondre quand l'angelot cria son indignation avec fougue. Finalement, c'est une voix dans le dos de Michael qui lui répond fermement :

" Ça ne te regarde pas. "

Ôtant certainement par là même les mots de la bouche de la journaliste. Puis, voyant Charles se diriger vers la porte, il vient calmement se mettre devant celle-ci, et troque son trognon pour sa baguette en un geste aussi bref qu'habile. Il ne la dirige pas pour autant vers le garçon, mais se contente de la faire rouler entre les longs doigts fins de ses mains délicates.

" Et où tu comptes aller comme ça, De Vignolles ? "

" Tenenbaum, répond froidement l'éphèbe. Et si j'avais ta baguette, je te la rendrais sans hésiter : elle n'est entre tes mains rien de plus qu'un vulgaire bout de bois, que tes jambes flageolantes peineraient à porter. Je ne te laisserai pas quitter seul ce bureau, c'est ainsi. Cela se fera avec ton camarade, ou ne se fera pas. Si c'est bien l'antre du Diable, n'as-tu pas honte d'y abandonner ton ami ? " dit-il avec un sourire narquois.

C'est au tour de Suzy de prendre la parole. C'est elle, avant tout, qui refuse de laisser Charles quitter les lieux.

" Partir, oui, pour aller où ? Prévenir Rinwell ? Faire poster des gardes devant l'infirmerie ? Il a clairement énoncé son souhait d'empêcher notre marché de se conclure, Summers. Tu ferais mieux de raisonner ton ami, si tu veux que nous parvenions à un accord. Il veut sauver une vie, peut-être deux, sans penser à un seul instant à toutes celles qu'il condamne... "

Manifestement courroucée par la décision du Jaune, Suzy s'élève vertement de son fauteuil et frappe sur son bureau du plat des deux mains. Elle refuse qu'il refuse le marché, de toute évidence.

" Réfléchis bien, Summers. Réfléchis bien. Je ne vous donnerai pas de seconde chance. C'est des preuves que tu veux, c'est ça ? Tu ne me crois pas ? Très bien. "

Elle ouvre son tiroir d'un geste sec, et en sort un petit bocal qu'elle dépose sur le bureau avec une certaine hargne. A l'intérieur, un petit bout de chair pâle, surmonté d'un ongle.

" Inutile de te dire à qui il appartient. C'est l'agresseur lui-même qui est venu jeter ça dans mon bureau. Tu penses toujours que je ne peux pas te mener jusqu'à lui ? Si c'est des preuves que tu veux, tu en auras, dès lors que tu sauras où chercher, et à qui t'intéresser. Ou bien, tu peux sortir de ce bureau, et te sentir toi aussi responsable du chaos qui secoue l'école. Tu pouvais faire quelque chose, mais tu n'as rien fait. Tu pourras t'adresser aux prochaines victimes, et leur dire : j'aurais pu te sauver. Mais j'ai refusé. "

" Soit. Au moins, je n'aurais pas à me passer de mon divertissement favori : votre Enfer. Disparaissez. Laisse-les sortir, Stephen. "

La journaliste paraît alors indifférente, du moins en apparence. Un masque qu'elle ne saura porter très longtemps. Elle fait alors pivoter son siège, afin que le dossier soit face à la porte, la dissimulant alors complètement.

L'éphèbe hoche la tête, se saisit de la clé qu'il vient faire tourner dans la serrure.

" Je les raccompagne. Je préfère m'assurer qu'ils ne fassent rien d'insensé sur le chemin du retour. Je garde la clé, tu peux donc avoir l'esprit tranquille. Tu ferais peut-être mieux de... te débarrasser de ça. Il s'adresse alors aux deux Poufsouffles : Vous deux. Dehors. "

Il ouvre la porte, et les laisse passer, avant de sortir à leur suite.

Récupérer son catalyseur ? Certainement pas. C'est Tenenbaum qui s'empare des deux baguettes, avant de guider les deux amis à travers les obscurs couloirs déserts du septième étage.

" Je vous les rendrai en temps voulu. Avancez. "

Il les mène ainsi, littéralement à la baguette, quelques couloirs plus loin, à l'écart du bureau de Suzy et de ses deux gardiens.

" C'est assez loin, dit-il calmement. Arrêtez-vous là. "

Il pousse un profond soupir, apparemment en proie à un dilemme intérieur, avant de finalement s'exprimer :

" Je pense que vous avez fait le bon choix. Même si le ressentiment de Sue est compréhensible, Rinwell ne mérite certainement pas tant. Son esprit n'aurait vraisemblablement pas survécu à une blague de si mauvais goût. De plus, vous auriez pris des risques inconsidérés en jouant les agresseurs. Il aurait été parfaitement stupide d'accepter. Je ne pensais pas un jour éprouver du respect pour deux blaireaux, dit-il en soufflant du nez. Tenez. "

Il leur tend alors enfin leur deux baguettes, avant de paraître une nouvelle fois pensif, les sourcils froncés.

" J'aurais, toutefois, une dernière question pour vous... Répondez-y simplement. Votre statut de sang ? "

" Oh, vraiment ? " fait-il en feignant d'être déçu.

Plutôt que de paraître surpris, il a ce sourire en coin qui semble cacher bien des choses, et range simplement sa baguette dans la poche intérieure de son torse.

" Comme c'est dommage. Il y à, à Pré-au-Lard, ce bar dont on réserve l'entrée aux Sang-Purs uniquement. J'aurais apprécié d'y prendre un verre avec vous. Mais ce n'est pas un endroit où vous pourriez mettre les pieds, de toute évidence. "

Il hausse les épaules, avant de tourner les talons. Sans pour autant se retourner, il s'adresse à eux pour la dernière fois.

" Une dernière chose. Ne tentez rien contre Sue. Ça m'embêterait de devoir me charger de vous. "

Stephen s'arrête alors. Loyauté ? N'est-ce pas l'une de leurs qualités, à ces Poufsouffles ? A dire vrai, il n'a jamais vraiment réfléchi à ses propres motivations. C'est un homme qui, bien qu'il soit réfléchi, est avant tout guidé par son instinct en lequel il a toute confiance.

" Loyauté, tu dis ? Je n'ai rien d'un chien. Et encore moins d'un blaireau. Mais Sue... sombre un peu plus chaque jour. Tout ce que je peux faire, c'est l'accompagner. "

Il reprend alors sa marche, non sans répondre à la proposition de Michael :

" Et pour ton invitation... Non merci. "

Le silence dans ce couloir est tel que même à cette distance, ils peuvent l'entendre souffler du nez. Ils peuvent même y entendre tout le mépris et l'amusement qui s'échappent dans ce souffle.

" Je ne bois pas. "

L'éphèbe ne répond rien, et continue de s'éloigner. Néanmoins, on peut le voir secouer la tête de droite à gauche, peut-être de mécontentement, ou d'exaspération.