Warning : Violence brutale
La violence du choc avait été atroce, le son de la chair battue insoutenable. D’un geste, d’un seul, elle avait perforé la tempe de Sullivan. Le bras encore secoué par l’impact, les doigts crispés sur son caillou assassin couvert de sang, Apolline, alors qu’elle n’est qu’une enfant, était restée stupéfaite de sa propre force, de sa capacité à tuer. Il avait été si simple d’abattre le Serdaigle. En un instant, avec une facilité terrifiante, il venait de passer de vie à trépas, s'était écroulé sur le sol, le visage éteint.
Si le pauvre garçon n'en pouvait plus d'être malmené, qu'il soit enfin en paix : Apolline allait bientôt mettre un terme à son calvaire. Il faut croire qu'il était simplement destiné à mourir, être ramené de la noyade n'avait fait que retarder l'inéluctable. Il est malheureux que Dieu rappelle à lui un être si candide à un âge aussi tendre ; mais comme l'homme ne s'abaisse que pour cueillir les plus jolies fleurs, peut-être Dieu ne se penche-t-il que pour ramasser les plus beaux d'entre nous. Il n'y a d'Enfer que ce bas-monde, celui dans lequel il a condamné Apolline à vivre, celui trop cruel pour qu'il y laisse languir un garçon aussi innocent que le pauvre Sullivan.
La jeune fille à l'âme impure observe, haletante, le corps inerte du Serdaigle gésir sur le sol. Simplement assommé, la vie ne l’a pas encore tout à fait quitté. En lui, elle revoit sa pauvre mère à terre, blessée et impuissante, son doux visage angélique couvert de son sang pur et précieux qui n'aurait jamais dû être versé. Elle était aussi bonne que Sullivan, ne s'était jamais adonnée à la moindre violence, et tout comme lui, elle ne méritait pas de quitter ce monde d'une aussi horrible façon, simplement pour satisfaire les caprices d'un être immonde. Mais, tout aussi naïve que le jeune garçon, elle n'avait pas vu la mort venir, était tombée dans le piège mortel de l'homme qui l'avait privée de sa vie. Un homme abject et vicieux, dont Apolline se faisait aujourd'hui le parfait reflet. Il s'était assis sur la pauvre femme, avait brutalement saisi sa tête par les cheveux. Il avait levé son poing meurtrier... et l'avait frappée au visage, encore et encore, sous les yeux de sa fille qui aujourd'hui reproduisait chacun de ses gestes. Il l'avait frappée, quand bien même elle ne pouvait pas se défendre. Il l'avait frappée, alors qu'elle était déjà morte. Il l'avait frappée, sans même plus pouvoir rien distinguer de son visage devenu un amas de chairs sanguinolentes. Il avait frappé... sans
REGRET ! Frappé... sans
REMORD ! Frappé... sans
PITIÉ ! Encore, encore, encore, et encore !
Avec hargne, son bras se lève et retombe à répétition. A chacun de ses coups, Apolline hurle comme la bête sanguinaire qu'elle est. Absorbée par une transe meurtrière et vengeresse, c'est sans même y réfléchir qu'elle abat sur le pauvre Sullivan toute la haine qui la ronge de l'intérieur. Elle châtie le coquebin pour ses propres crimes et ceux des autres, lui fait payer le prix d’atrocités qu'il n'a pas et n’aurait jamais commises. De façon machinale, sa main armée du caillou vient frapper sur le crâne détruit du défunt, même lorsque son bras fatigué finit par ne rien faire de plus que remuer pitoyablement la chair meurtrie. Malgré tous les coups qu'elle a portés, il reste en elle encore tant de colère qu'elle aurait pu continuer des jours ainsi sans jamais s'en libérer. Mais malgré tout, elle se sent horriblement mieux. Non pas heureuse, mais au moins satisfaite.
Elle a le sentiment de s'être enfin vengée, d'avoir vengé sa mère, au moins un peu. Tuer Sullivan de ses propres mains n'avait pas la même saveur que de simplement l'avoir laissé mourir. Elle avait longtemps espéré pouvoir s'abandonner à la brutalité, avait rêvé la nuit de tremper ses mains dans le sang d'un homme. La violence toujours la dégoûte, et pourtant, ce soir elle y a pris goût. Elle y a pris du plaisir. Une sorte de plaisir coupable et répugnant, une atrocité qui lui fait du bien, qui la détruit autant qu'elle l'apaise. Elle se redresse, chancelante, et constate avec une horreur mêlée de satisfaction le carnage résultant de sa bestialité. Comme l’oisillon de la serre, elle se force à regarder le crâne défoncé de Sullivan, essaie d’y rester indifférente. D’assumer son acte. Elle a agi ainsi, en pleine conscience de la portée de ses gestes. Elle se dit que peut-être, l’infortuné Serdaigle n’aurait pas eu à mourir, si jamais Michael ne l’avait pas empêché de s’en prendre au Serpentard. Mais elle se ment : sa soif de sang est aussi insatiable que sa haine est insondable.
Elle s’éloigne, va chercher une pierre si grosse qu’elle peine à la porter. Pour ne laisser aucune place au doute, au hasard. Cette fois, il ne doit pas survivre. Elle se place au-dessus du Serdaigle, soulève le rocher de ses maigres bras, et l’écrase sur la tête du garçon. C’est son propre corps si léger et exténué qui est emporté par le poids de la pierre, et elle tombe avec elle. Le crâne finit de céder sous la masse rocheuse, éclate dans un bruit des plus affreux, répand son contenu sur le sol dans un feu d’artifice sanglant. Apolline se retrouve littéralement le nez dans son méfait. Indifférente, elle ne peut plus l’être. Elle roule sur le côté pour vomir un liquide translucide, témoin des repas qu’elle ne prend plus. Et elle se maudit pour sa propre faiblesse.
A quatre pattes, elle s’éloigne du cadavre pour retrouver ses esprits. Cette fois, il est certain que Sullivan ne se relèvera pas. Elle refuse à ses larmes le droit de couler, fait taire tout sentiment de culpabilité. Elle se défait de sa robe souillée, la jette sur le Serdaigle comme un sombre linceul, puis met le feu au tout à l’aide d’un sortilège. Elle ne peut déplacer le corps : elle n’en a plus la force. Avec un Aguamenti, elle nettoie son visage et ses mains du sang de son crime, avant de prendre la fuite, une nouvelle fois prise de panique.
Elle avait souvent été injustement qualifiée de monstre, et ce même par l’assassin de sa mère. Aujourd’hui, c’était le seul mot à même de la définir. De la faible petite fille qui avait pour seule arme son silence, il ne restait rien. Elle n’est plus qu’une créature immonde et brutale, sanguinaire, qui ne recule devant rien pour assouvir ses sombres désirs, pas même les pires atrocités. C’est ce qu’elle avait toujours souhaité devenir. Cette bête prédatrice qui bientôt chasserait et déchiquèterait ceux qui selon elle le méritent, au nom de sa vengeance.
Ce soir-là, c’est deux enfants qu’elle a tués de propres ses mains : Sullivan Owen Barthelemy, mais aussi celui qu’elle était. Aucun des deux ne reviendra jamais.