Même Mignonette sursaute lorsque le précieux catalyseur de François-Marie est brisé d'un coup sec et impitoyable. C'est la première fois de sa vie qu'elle voit une telle chose arriver. C'est un geste fort, violent, qui n'a rien d'anodin, une sanction des plus symboliques. La jeune fille se demande même si le pauvre D'Osmond ne vient pas d'être renié et déshérité. Une chose est sûre : il est désormais considéré comme indigne d'être un sorcier par sa famille. C'est terminé, avait dit le Patriarche. En entendant ces mots, Mignonette déglutit. Elle haïssait ses parents, avait déjà reçu de leur part bon nombre de corrections ; mais jamais, jamais ils ne s'étaient montrés aussi durs. Est-ce pour cela que la fratrie se montre elle-même si odieuse ? Ducharme ose à peine imaginer dans quel état émotionnel François-Marie se trouve en ce moment. Pour lui, ce doit être tous les efforts d'une vie qui viennent d'être anéantis. Des années à tout faire pour maintenir le niveau d'excellence que l'on attendait de lui. Tout cela balayé en un instant, pour les avoir déçus une fois seulement.
Lorsque son frère et ses parents disparaissent, c'est Charlotte qui s'effondre. Elle aussi, bien qu'elle ait fait mieux que son frère, avait échoué. Déçu. Si elle a pu garder sa baguette, elle semble tout aussi si ce n'est plus anéantie. Dieu sait ce que sa mère a bien pu lui murmurer. Face à ce spectacle désolant d'une Charlotte déshonorée et humiliée sur la place publique, Mignonette ne sait comment réagir. Son coeur lui intime d'aller s'enquérir de son état, mais ne serait-ce pas pour la D'Osmond plus dégradant encore ? Bien que pleine de compassion, une telle attitude serait certainement prise pour de la pitié pure, et même méprisante, tant par la malheureuse que par la foule. Alors Mignonette ne dit rien, ne fait rien, mais n'en pense pas moins. Doit-elle se sentir coupable ? C'est ce qu'elle ressent, quelque part. C'est de sa victoire que vient leur échec. C'est à cause d'elle qu'ils subissent les foudres d'une famille trop exigeante.
Mais ainsi va la vie, cruelle, injuste. Mignonette a elle aussi ses raisons de vouloir remporter la compétition, et souffrirait d'un échec. Même si elle comprend tout à fait la situation des deux D'Osmond, elle ne peut rien y faire : elle a ses propres problèmes. Il doit y avoir un gagnant, et des perdants. Alors elle peut bien se sentir désolée pour ces deux gamins sous l'emprise de la tyrannie parentale, cela ne change rien : cette victoire, elle la veut. Chacun son combat, chacun son destin.
Alors, faussement impassible, elle vient à la suite de Tremblay. En passant auprès de Charlotte, elle suspend son pas, le temps de quelques mots :
" Lève-toi. Tu n'as pas encore perdu. "