Madame Pieddodu, Salon de Thé

C'est une petite touche de Jaune qui vient faire tâche au milieu de ce décor vomitif où le rose se fait omniprésent. Assise paisiblement à une petite table décorée à l'outrance, Bird profite de la tranquillité du lieu en sirotant un thé fruité dans une parfaite solitude. Le salon de thé de Madame Pieddodu est bien l'un des seuls endroits où nul ne se risque à la suivre, son côté chichi-pompon ayant ce pouvoir de faire fuir tout ce qui a trait à la virilité. Ici seulement peut-elle fuir ses prétendants, alors que tous encore espèrent être l'heureux élu qui aura la chance de l'accompagner au bal et plus si affinité.

Aujourd'hui, l'endroit est calme, troublé en dehors de Bird par deux petits couples chacun assis dans un coin différent, désireux de partager un moment romantique dans l'intimité offerte par le salon. La Poufsouffle, elle, se contente de la compagnie d'un immonde portrait d'une bonne femme bien trop apprêtée. Depuis plusieurs minutes déjà, elles s'observent toutes deux dans le blanc de l'oeil sans mot dire.

Haha quel hasard haha... Horace a eu envie d'un petit thé au moment où Bird était dans le salon. Quel hasard... Il ne savait vraiment pas qu'il allait la retrouver là. Et non, il ne l'a pas suivi. Il a pas qu'ça à faire. Il est trop occupé à s'amuser avec son nouveau sort puis il en profite, c'est sa dernière année sans examen.

Donc il entre dans le salon de thé au décor outrageusement trop rose à son goût. Quelle souffrance pour les yeux ! Au point qu'il ne remarque pas tout de suite Bird. Il commande son thé vert à la gentille madame Pieddodu. Pis il finit par remarquer Bird. Il s'approche, lui fait un signe de main si elle le remarque pis s'assoit à sa table avec un léger sourire.

- Bonjour Bird, je ne te dérange pas ?

Bird accueille le jeune homme avec un sourire sincère.

" Horace ? Et bien... Quelle surprise de te voir ici ! Je ne me serais jamais attendue à te croiser dans un endroit pareil. "

Pour une surprise, oui, c'est très surprenant. De mémoire, on n'a que peu souvenir de garçons s'aventurant seul dans ce haut-lieu de la féminité. Très surprenant, oui... On aurait presque envie de croire qu'il l'a suivie ! Presque.

" Je t'en prie, installe-toi. Tu ne me déranges pas du tout, du tout du tout. On pourrait le croire mais... je n'attends personne. Et toi, tu... Tu es... venu seul ? Ici ? " fait-elle intriguée.

Qu'il soit risqué ici de son plein gré lui paraît simplement inconcevable.

- Hmm. Pas tout à fait.

Un petit merle noir fait son apparition d'en dessous de la table et se pose sur la table. Le jaune le désigne du regard.

- Je suis venu boire un thé avec ce petit ami.

Il se rappelle que Bird est une amoureuse des animaux et elle doit sans doute pas trouver ça sympa de kidnapper des oiseaux.

- C'est pas vraiment un véritable merle.

Joli petit tour de passe-passe de la part d'Horace. Une vraie diversion de Maître. Ou comment esquiver une question en détournant l'attention... Bird entend bien qu'on ne lui répond pas, et n'insiste pas. Horace a certainement ses raisons de venir ici, cela ne la regarde pas. Alors, comme attendu d'elle, elle s'enquit du merle qui vient piailler entre les tasses à thé, petits gâteaux et autres morceaux de sucre.

" Je sais, dit-elle avec un sourire amusé. Sinon, il serait déjà en train de picorer dans mes biscuits ! Mais l'illusion est réussie. On jurerait un vrai ! C'est toi qui l'as fait apparaître ? "

- C'est un sort de métamorphose que j'ai créé l'année dernière. Et en fait, ce merle, c'est mon encrier.

Le thé vert qu'il a commandé arrive, le jaune remercie la gentille madame Pieddodu pis il en prend une gorgée. Quand il repose sa tasse sur la table, le merle noir s'approche et tente de picorer dedans. Tututut, Horace le repousse doucement d'un petit geste de la main. Il n'a pas envie de se retrouver avec du thé dans son encrier, c'est pas pratique pour écrire après.

A son tour, la jeune Poufsouffle salue de nouveau la maîtresse du salon d'un hochement de tête, avant de reprendre la conversation une fois cette dernière partie.

" Ton... encrier ? "

Bird fronce les sourcils, s'imagine comment cela fonctionne. Peut-on lui tirer les plumes et les trouver déjà encrées ? Elle s'étonne aussi de voir le volatile se prendre d'intérêt pour le thé. 

" Ah, oui ! Non, d'accord, c'est moi qui suis bête. Mais j'ai compris.  "

Curieux en effet, puisque le volatile n'est en réalité qu'un encrier, et tout métamorphosé qu'il est, un encrier ne devrait pas avoir soif. Peut-être le sortilège est-il particulier.

" C'est toi qui l'as créé ? Non ? Tu me fais marcher ? "

Il sourit, tout content de son sort et de lui en parler.

- Oui, oui. Je l'ai créé. Enfin... Il y a sans doute eu des sorts similaires par le passé et qui sont tombés dans l'oublie, mais celui-là, je l'ai créé, oui. Il a même quelques effets que je n'avais pas envisagé.

Admirative, la Poufsouffle l'est. D'autant qu'elle sache, créer un sortilège est un processus infiniment complexe qui demande à la fois maîtrise et volonté. Très honnêtement, elle ne s'imaginait pas Horace capable de tant, et c'est bien normal. Bien peu nombreux sont ceux capables de créer leurs propres sorts, encore moins à un si jeune âge.

" Hé bien, je ne t'imaginais pas aussi doué ! C'est... vraiment très impressionnant, Horace, vraiment. Qu'est-ce que c'est, les effets dont tu parles ? "

C'est flatteur hihi. Il n'en pense pas autant. En effet, il pense que c'est accessible à tout un chacun à condition de travailler de manière acharnée.

- Et bien, le comportement du merle est influencé par les pensées qui me traversent l'esprit au moment de lancer le sort. Par exemple, si ce merle a tenté de piocher dans ma tasse, c'est sûrement que j'avais soif de thé au moment de métamorphoser mon encrier. Explique-t-il.

" Vraiment ? Vous êtes liés par la pensée, donc ? Comme un genre de télépathie ? "

Elle pose alors ses avant-bras sur la table, veillant à ne rien renverser ni à tremper ses cheveux dans le thé, pour se pencher plus en avant afin de mieux observer l'oiseau.

" Je comprends mieux pourquoi il agissait comme un vrai... Et là ? Elle redresse les yeux vers lui. A quoi tu penses ? "

- Hum... Non, pas exactement. Je ne lui transmets pas mes pensées par télépathie. De ce que j'ai observé, c'est seulement au moment de lancer le sort et ensuite je ne peux plus rien lui envoyer comme pensée, ni même lui donner des ordres.

Le merle pose un regard intrigué sur Bird tandis qu'il siffle ses chants habituels.

" Oh, je vois... " fait-elle avec une pointe de déception dans la voix.

Elle pose un regard étrangement compatissant sur l'oiseau qui n'en est pas un, comme si son caractère factice et sa nature d'encrier la désolaient, n'étant guère plus qu'une parodie de la vie. Elle saisit néanmoins l'oiseau dans le creux de sa main, et lui siffle quelques notes pour l'accompagner.

" A part ça, comment vas-tu, Horace ? Et Léonard ? "

- Tout roule. Je vais bien et Leonard va bien. Et toi, comment vas-tu ?

Il prend une gorgée de thé tandis qu'il regarde sa camarade.

Tout en grattant doucement l'oiseau sous la gorge, elle répond :

" Bien, je suis contente de l'entendre. Moi... Ça va. Oui, ça va. Oh, et, Brad va très bien. Il s'en est remis et n'a pas eu la moindre séquelle. Bonne nouvelle, pas vrai ? "

- Ah très bien. Ça me rassure.

Il est rassuré.

- Est-ce que ça va mieux avec lui ? Il ne t'a pas recrié dessus ?

" Non, du tout. L'épisode de la dernière fois... l'a bien calmé, ça oui. Et ça a même calmé les ardeurs de pas mal de monde, en fait... "

La mésaventure de Brad a fait grand bruit, particulièrement parmi les prétendants de la jeune Poufsouffle. Nombreux sont ceux qui se sont par la suite montrés plus hésitants à l'idée de se faire insistants. Les actions d'Horace ont finalement une portée bien plus grand qu'on n'aurait pu l'imaginer.

" Mais sinon oui, ça va bien entre nous. Il s'est excusé, je me suis excusée aussi, et... Oui, tout va bien. Jusque-là, il ne m'a pas redemandé de l'accompagner au bal ! De toute façon, il était tellement obsédé par cette idée de danser avec moi qu'il en a oublié... qu'il ne ferait pas partie du voyage. Monsieur à ses ASPICS à travailler ! "

Ah ! Horace ne tente pas de cacher son étonnement : il hausse mécaniquement les sourcils. Les relous se sont calmés... à cause de lui ? C'est improbable ! Bon, il espère juste qu'ils ignorent que c'est lui qu'est à l'origine de "l'épisode de la dernière fois". Il n'a pas très envie d'avoir des problèmes ni même d'être mis sous les feux des projecteurs.

- Ah oui, c'est vrai que les 7ème années n'en font pas partie. Dit-il, semblant s'en rappeler.

Mais du coup, toi non plus ?

Malheureusement pour lui, Horace est déjà plus connu qu'il ne le voudrait, même si peut-être n'en a-t-il pas encore eu l'écho. On parle de lui de bien des façons, comme le chevalier qui a pris la défense de Bird, le malade qui s'en est pris à Brad, ou encore le chanceux qui est resté seul en compagnie de Bird plus de dix minutes. Enfin, seul, avec un type dans les vapes d'accord, mais c'est déjà plus que d'autres n'auront jamais.

" Moi ? Hé bien... si. C'est vrai, je devrais être en 7ème année, moi aussi, mais... "

De façon distraite, elle touille son thé à l'aide d'une cuillère. Ce qui est inutile : elle le boit sans sucre.

" J'ai redoublé. "

- Ah. Et hum, comment tu te sens par rapport à ça ? Demande-t-il.

Même si pas toujours très valorisant de redoubler, Horace se dit que c'est quand-même un bon moyen de rebondir. Pas vrai ça ? Du coup, inutile de dramatiser. Le ton de sa question n'est pas tragique, ni même joyeux. Il est neutre.

" Comment je me sens ? Heu... Et bien... bien ? En fait, c'était une volonté de ma part. J'ai pris... pas mal de retard, l'année dernière. J'aurais pu passer, mais je pense que mes résultats aux ASPICS en auraient pâtis. Alors, j'ai préféré reprendre l'année à zéro. "

Souriante, elle hausse les épaules.

" Qu'est-ce que c'est, un an, dans une vie, hein ? Et puis, honnêtement, je t'avoue que je l'aurais eu mauvaise de me faire sucrer le voyage en France ! "

C'est aussi un an bienvenu de répit, pendant lequel elle pourra consolider ses acquis tout en profitant du cadre français, loin de Suzy Sue et autres consorts, tandis que ses anciens camarades devront affronter la pression des examens...

Amusé par la dernière phrase, il esquisse un léger sourire. Oui haha, quel dommage ça aurait été de rater une occasion unique de se jeter dans la gueule du loup.

- D'accord, je vois. C'est un moyen de rebondir, c'est ça ? J'aurais sans doute fait pareil.

Je me demande... Que penses-tu de ce voyage en France, de ce tournoi ?

Bird est de ces bienheureux naïfs qui préfèrent croire à leur vision idéaliste du monde plutôt que d'ouvrir les yeux sur sa nature pourrissante. Pourquoi chercher la poussière sous les meubles quand on peut se contenter de s'affaler sur le canapé ? Pour elle, le Tournoi des Trois Sorciers n'est rien de plus qu'un évènement historique et culturel qui permet de rassembler les élèves des quatre coins du monde autour d'une compétition sportive, dans la joie, la bonne humeur et le fair-play. Pourquoi croire le contraire ? A cause de la guerre qui fait rage ? Des récents évènements, du discours inquiétant de la championne de Poudlard ? De cet article dans la Gazette qui fait mention d'un groupuscule de l'Alliance aux alentours de Beauxbâtons ? Oui, ce serait de bonnes raisons. Mais pas pour Bird. La jeune fille se veut optimiste - utopiste - même lorsque cela ne fait que peu de sens. Elle veut y croire, et elle y croit.

" J'ai vraiment hâte ! Je n'ai jamais été en France. Il paraît que c'est un très beau pays. Et l'Académie de Beauxbâtons est, enfin il paraît, la plus belle du monde. Un véritable château de princesse digne des contes ! Bird est une fille simple, qui aime les choses simples. Passer toute une année là-bas, c'est une chance unique. J'ai hâte aussi de savoir quelles seront les épreuves. La logique voudrait que je soutienne Poudlard, mais j'attends quand même de voir les autres champions. Et toi, qui est-ce que tu comptes soutenir ? "

- Hum... Et bieeen... Le tournoi va prendre une tournure qui me déplaît. On l'a vu avec le discours de Saskia et ce qui était écrit dans la gazette. Ça ne sera pas un tournoi qui oppose des écoles mais des camps politiques qui me dépassent et dans lesquels je ne me retrouve pas. Je n'ai pas envie d'être rabat-joie mais je ne soutiendrai aucun camp dans ce tournoi. Je me contenterai de profiter et de découvrir Beauxbâtons, ce qui est déjà très bien, n'est-ce pas ?

Il n'a aussi plus qu'à espérer de ne pas se trouver au mauvais endroit au mauvais moment. Le jaune ne partage pas l'optimisme de sa camarade. On l'a très bien vu, les faits le confirment : ce tournoi est foncièrement politique. Il est même idéologique. Horace ne souhaite pas faire partie d'un tel camp ou d'un tel autre, il tient à son indépendance. Surtout, il regrette que l'école, sanctuaire du savoir, de l'apprentissage et abri pour certains enfants, soit utilisé comme une scène de théâtre où les puissants de ce monde peuvent jouer leur comédie, allant jusqu'à attenter à la sécurité - voire à la vie - des élèves. Quand on poste une armée aux portes d'une école, ce n'est jamais avec des intentions innocentes.