MagicaeConnexion

RIP Magicae 2021-2022

Le Deal du moment :
SSD interne Crucial BX500 2,5″ SATA – 500 ...
Voir le deal
29.99 €

descriptionUn chalet isolé au cœur des Alpes françaises EmptyUn chalet isolé au cœur des Alpes françaises

more_horiz
Un chalet isolé au cœur des Alpes françaises 336

descriptionUn chalet isolé au cœur des Alpes françaises EmptyRe: Un chalet isolé au cœur des Alpes françaises

more_horiz
Tu vois, Jeanne ? Je te l’avais bien dit.

Une main plaquée contre le mur du salon, et l’autre en poing sur la hanche, Frédéric observe par les carreaux fouettés par la neige la tempête qui dehors fait rage, d’un oeil non pas inquiet mais bien satisfait, et même fier, d’avoir tout simplement eu raison. Une fois de plus, pense-t-il sûrement.

Si je t’avais écoutée, et que je n’étais pas allé refaire notre stock de bois, on serait frigorifiés à l’heure qu’il est ! poursuit-il sur un ton de reproche. On aurait l’air aussi con que les sapins à cause de toi.

Sapins qui tentent désespérément de garder racine alors que de brutales rafales de vent mettent tout en oeuvre pour les arracher de terre. Ils ploient et souffrent tandis que leurs cîmes viennent caresser le lit neigeux qui ne cesse de s’épaissir, perdant au passage des branches entières qui s’écrasent avec fracas sur les murs et la toiture du chalet à un rythme régulier. Au coeur de cette forêt mise à genoux par les caprices du ciel, la modeste habitation - pourtant faite du même bois - semble être l’unique bastion qui ne veut rien céder à la tempête. Le calme relatif et la chaleur qui y règnent jurent avec le chaos glacial qui l’entoure.

De la cuisine, la voix humble d’une femme honteuse se fait timidement entendre :

Je suis désolée, chéri, commence-t-elle, avant de commettre une erreur pourtant grossière : celle de vouloir se justifier. Ce n’est pourtant pas ce que la météo pré…

Aaaah, encore ta météo ! Putain ! Arrête avec ta foutue météo ! Merde ! explose-t-il soudain. Tu crois encore ce que ces abrutis racontent ? Tu vois bien qu’ils ont toujours tort ! Quand il s’agit pas de Paris, ils en ont rien à foutre, ces salauds ! C’est moi que tu devrais écouter.

Comme pour asseoir un peu plus sa virilité, il ôte alors son pull de laine pour se retrouver vêtu d’un seul marcel blanc, donc dépassent deux larges bras particulièrement velus aux muscles saillants. Une façon aussi pour lui de prouver l’efficacité de ce feu de cheminée dont il paraît si fier. D’une main anguleuse aux ongles négligés il recoiffe sa tignasse sauvage vers l’arrière, et de l’autre il sort de la poche de son jean un paquet de Gauloises qu’il ouvre d’un coup de pouce avant de le porter à sa bouche, afin de se saisir rageusement d’une clope entre deux dents. 

Affairée aux fourneaux, sa femme elle n’ose rien répondre, priant pour que cet orage, dont nul mur ne saurait la protéger, passe de lui-même sans l’emporter. Dans les moments comme celui-là, c’est d’un oeil presque envieux qu’elle pourrait jalouser les sapins au-dehors. Mais la colère de Frédéric semble vite s’évaporer dans la fumée qui s’échappe de sa gueule virile en épais volutes.

C’est moi que tu devrais écouter, répète-t-il. Tu le sais. J’ai le flair pour ça. Quand une tempête approche… Je la sens toujours venir.

D’un pas volontairement lourd qui vient faire craquer le plancher, il rejoint alors sa femme en cuisine. A l’aide de gestes vifs et précis qui témoignent d’une évidente maîtrise acquise au fil des années, elle passe à la moulinette divers légumes en vue de préparer une chaude soupe qu’elle espère capable de réchauffer les corps et les coeurs. Entendant son mari arriver, elle lui adresse un sourire miséreux qui manque de s’évanouir lorsqu’elle croise le regard qu’il porte sur sa cuisine, plus douloureux encore que le plus blessant des mots. 

Mais il vient alors se mettre derrière elle, corps à corps, la saisit tendrement mais fermement par les hanches avant d’enfouir son visage dans le creux de son cou découvert par des cheveux coiffés en chignon. Et alors, elle sourit de nouveau, glousse même et rougit. Lentement, il fait courir le long de sa peau ferme ses lèvres avides, et dépose dans sa nuque deux baisers emprunts de désir, mais aussi d’amour. Elle frissonne tant qu’elle manque même de s’entailler le doigt. 

Ne fais pas cette tête. Tu sais que j’aime ta cuisine. J’en ai juste plein le cul de la soupe. J’irai en ville nous chercher de la viande, demain.

Elle le remercie de ses grands yeux verts et hoche la tête. De plus de vingt ans sa cadette, sa beauté presque encore juvénile contraste avec le corps certes robuste mais néanmoins vieillissant de son mari, qui accuse le poids d’années alourdies par la fumée et l’alcool. Ses mains calleuses paraissent celles d’un vieux colosse alors qu’elles glissent le long des courbes délicates de la jeune femme, avant qu’il ne la délaisse pour se diriger vers un placard dont il sort un verre et une bouteille de spiritueux.

Je te laisse terminer. Essaie de te dépêcher un peu, il commence à faire tard. ” dit-il en se servant.

Elle acquiesce et redouble d’énergie en retournant à ses légumes. Frédéric, son verre rempli à ras-bord dans une main et sa clope dans l’autre, s’en retourne lui vers le canapé du salon, un sourire satisfait sur le visage. C’est avec avidité là aussi que ses lèvres viennent embrasser le rebord du verre, la tête légèrement penchée vers l’arrière et les yeux mi-clos de plaisir. Quand soudain, quelque chose glisse sous son pied si bien qu’il manque de tomber vers l’arrière. Ce n’est que de justesse qu’il parvient à garder l’équilibre, mais une bonne moitié du contenu de son verre se déverse sur son visage comme son marcel, y laissant une longue traînée sombre et humide.

Putain ! ” jure-t-il en s'essuyant la bouche, avant de baisser les yeux à la recherche de l’objet fautif qu’il repère aussitôt. Une petite locomotive toute de bois faite qui avait le malheur de traîner là. De rage, l’homme l’envoie valser d’un puissant coup de pied, et le jouet s’écrase avec fracas contre le mur, près des escaliers, y perdant deux roues au passage et même un morceau de toiture. “ Guillaume ! ” s’époumone-t-il.

A travers le plafond, malgré le vacarme sourd causé par la tempête, on entend résonner dans le chalet de petits pas hâtifs qui se font de plus en plus audibles à mesure qu’ils se rapprochent. En haut de l’escalier, un jeune gamin de cinq ans apparaît. Là-haut, il hésite un instant, avant de descendre les marches avec autant d’entrain que celui qui gravit celles de l’échafaud.

Dépêche-toi ! “ ordonne alors l’homme d’une voix autoritaire.

Parvenu jusqu’en bas, les yeux bleus du bambin, à moitié dissimulés par une large frange blonde, se gorgent de larmes à la vue de son cher petit train abîmé. Il tombe alors à genoux pour en ramasser toutes les pièces.

Mon train !.. ” se met-il à sangloter.

Combien de fois je t’ai dit de ne pas laisser traîner tes jouets ? Hein ? lui beugle-t-on pour seule réponse. Combien de fois ? Regarde un peu ce que tu as fait, merde !

L’enfant se met alors à pleurer de plus belle, et porte son regard coupable et contrit sur le marcel maculé de son père.

D-désolé, Papa… Je… ” bégaie-t-il d’une voix qui meurt en sanglots.

Désolé ! Désolé ! Tu n’as que ce mot-là à la bouche ! Il pousse un long soupir agacé. Allez. Donne-moi ça.

Mais le petit Guillaume se met à serrer les restes de la locomotive contre lui, comme un trésor qu’il ne voudrait abandonner, de crainte certainement que tout ça ne finisse aux ordures.

Donne, je te dis ! lui intime Frédéric. Je vais te le réparer.

Dans les yeux de l’enfant brille soudain la lueur d’un espoir retrouvé, et ses quelques larmes restantes courent le long de ses joues rosies pour se nicher dans les commissures de son sourire candide. Passant clope et verre dans la même main, l’homme se saisit de son trésor pour le poser sur la table du salon. S’installant dans le vieux canapé de cuir, il attrape ses lunettes, posées non loin, et les chausse sur le bout de son nez. D’un regard soucieux, il se met alors à examiner une à une les différentes pièces, la tête légèrement penchée vers l’arrière. A ses côtés, son fils vient se hisser pour mieux le regarder faire. Mais très vite, le voilà qui plisse les yeux et retrousse le nez, agressés par la fumée nocive qui s’échappe de la cigarette coincée entre les doigts de son père.

Va me chercher la colle dans le tiroir de la commode, tu veux ? Plutôt que d’essayer de fumer en douce ! ” plaisante Frédéric.

Le garçon blond se hâte alors de rejoindre ladite commode, hésite face à non pas un mais quatre tiroirs sans savoir dans lequel chercher. Au hasard, il en choisit un et se met à farfouiller dedans sur la pointe des pieds, son petit nez arrivant tout juste à la bonne hauteur. C’est à ce moment que d’autres pas, cette fois plus feutrés, descendent prudemment les marches. Une autre petite tête blonde se risque à faire son apparition : celle de sa grande soeur, de trois ans son aînée. Devinant l’orage passé, c’est curieuse qu’elle vient s’enquérir de la situation.

Papa ? Qu’est-ce qui se passe ? ” demande-t-elle, voyant Frédéric manipuler le jouet sinistré.

Rien, lui répond son père. C’est seulement ton frère qui laisse encore traîner ses affaires.

Oh… Le train. ” fait-elle seulement.

S’il n’était pas déjà trop tard pour ça, elle lui avouerait certainement que c'est elle la fautive, ayant emprunté et oublié ce train dans le salon. Mais son frère ayant déjà subi le courroux paternel, elle choisit plutôt de garder le silence. Si Guillaume ne l’a pas accusée, que ce soit par oubli, par bêtise ou peut-être même par sens du sacrifice, elle ne va pas le faire à sa place : inutile de trinquer deux fois. Mais pour se racheter certainement, elle se dirige vers ce dernier, ouvre le seul tiroir dans lequel il n’a pas encore fouillé et en extirpe un tube de colle qu’elle lui tend.

C’est ça que tu cherches ?

Ravi, il s’en saisit en la remerciant avant de retourner auprès de son père, tout fier d’avoir accompli sa mission - avec juste un petit peu d’aide. Frédéric ayant terminé sa cigarette, c’est tous deux ensemble qu’ils s’attellent à la réparation du jouet, tandis que la soeur aînée les rejoint après s’être emparée d’une bougie posée sur la commode afin de mieux les éclairer. Mais alors qu’ils sont tous trois concentrés, trois coups sourds bien distincts se font soudain entendre depuis le hall. Tous redressent la tête et se regardent, interloqués.

Chéri ! Je crois que quelqu’un a toqué à la porte ! ” fait Jeanne depuis la cuisine.

Tu crois ? Par ce temps ? Je ne crois pas, moi. C’est juste une branche qui s’est écrasée sur la porte. ” fait-il, sûr de lui, avant de reporter son attention sur la petite roue qu’il s’efforçait de fixer juste avant.

Je vais voir ! ” s’exclame soudain la petite fille avant de se lever en toute hâte pour partir en courant.

Sophie ! Attends ! ” tente de la retenir son père.

Mais trop tard, elle s’est engouffrée dans le petit couloir qui fait office de hall d’entrée, et il ne la voit déjà plus. De là, il entend les gonds de la porte se mettre à grincer, avant que celle-ci ne vienne finalement claquer avec force contre le mur, poussée par le vent tempétueux qui s’engouffre brutalement dans la maison, soufflant plusieurs bougies au passage. Mais à travers le vacarme qui l’accompagne, Frédéric n’entend qu’une seule chose : l’inspiration horrifiée de sa fille. D’un bond il se lève, manque même de renverser son fils dans sa hâte, et se rue vers la porte d’entrée. Arrivé dans le hall, il se fige, stupéfait. Puis subjugué.

Sur le palier se tient une jeune femme, toute de noir vêtue, la tête couverte par une capuche. D’apparence misérable, trempée de la tête aux pieds, tremblante et frigorifiée, elle demeure silencieuse et immobile, à peine éclairée par la faible lueur qui émane du couloir. Mais rien de tout ceci, ni ses lèvres bleutées, ni même sa chevelure de feu parsemée de flocons qui vient lui fouetter le visage, ne parviennent à dissimuler aux yeux de Frédéric son immense beauté. Par dessous les flammes dansantes, il parvient à distinguer l’azur irréel de ses iris, alors qu’elle fixe Sophie d’un air grave. Puis, lentement, comme si elle n'avait pris conscience de l'arrivée de Frédéric qu'après de longues secondes, elle redresse le regard jusqu’à le porter sur lui.

Et dans ce regard intense qui le transperce, il y a quelque chose. Frédéric ne saurait dire quoi, mais il a le sentiment que l’on vient lui saisir le coeur à main nue. Un quelque chose d’unique, qu’il n’avait jamais vu chez une femme ; quelque chose qui lui parle, qui lui ressemble. Qui l’attire. De toute sa vie, il n’a jamais rencontré de créature qui lui paraisse… plus désirable que cette inconnue sur le pas de sa porte. D’un instinct paternel toutefois, il attrape sa fille par l’épaule et l’attire jusqu’à lui, avant de demander, quelque peu hagard face à ces yeux bleus qui le dévorent :

On peut vous aider ?

descriptionUn chalet isolé au cœur des Alpes françaises EmptyRe: Un chalet isolé au cœur des Alpes françaises

more_horiz
Un chalet isolé au cœur des Alpes françaises 666

descriptionUn chalet isolé au cœur des Alpes françaises EmptyRe: Un chalet isolé au cœur des Alpes françaises

more_horiz
C’est avec beaucoup de soin, mais aussi une certaine effervescence que Jeanne prépare à destination de leur invitée impromptue une large tasse de café chaud. Il faut dire qu’elle n’a que peu d’occasions de s’échapper du nid familial, et qu’ils ne reçoivent que très rarement de la visite : elle ne saurait donc dire à quand remonte la dernière fois qu’elle a pu profiter d’un peu de compagnie féminine. Avec le temps elle s’y est faite, ou plutôt résignée, oubliant jusqu’à son propre désir de pouvoir échanger avec quelqu’un qui ne soit ni son mari, ni ses enfants, comme une prisonnière qui ne se souviendrait plus du goût de la liberté.

Alors peu lui importe l’insolite de la situation, que cette femme étrange et jusqu’ici très silencieuse ait bravé le flanc de la montagne au coeur de la tempête pour se retrouver à toquer à leur porte au beau milieu de la soirée : pour la mère de famille, c’est un événement inespéré. Malgré le mystère qui entoure la présence de cette inconnue dans un lieu si isolé et même inhospitalier, Jeanne et sa famille ont préféré laisser ces questions en suspens, afin de ne pas la brusquer, au moins le temps qu’elle puisse se réchauffer.

Enveloppée dans une large couette - prêtée de bon coeur par Sophie - la jeune femme a été installée au plus près de la cheminée auprès de laquelle elle est restée immobile durant de longues minutes, muette comme une tombe, absorbée par les flammes dansant dans l’âtre. Jeanne, estimant que l’inconnue devrait maintenant être revigorée par la chaleur du feu, et trépignant surtout d’impatience à l’idée d’échanger avec elle quelques mots, s’approche à pas fébriles café à la main.

Tenez. Je vous en prie. Cela va vous faire du bien. ” dit-elle en lui tendant la boisson avec un large sourire.

La femme ne réagit pas tout de suite, mais avec quelques secondes de décalage, comme si elle s’était trouvée parfaitement ailleurs. Jeanne réalise alors, en découvrant son visage d’une intimidante beauté, qu’elle n’était non pas captivée par les flammes, mais par le cadre accroché juste au-dessus de la cheminée. Dans celui-ci avait été glissée une photographie de famille, datant de deux ans environ, dans laquelle l’on pouvait voir Jeanne et Frédéric, souriants, leurs enfants dans les bras. C’est cela que la jeune femme n’avait su quitter des yeux.

Merci. ” finit-elle tout de même par répondre à mi-voix, d’un ton presque aussi glacial que la tempête au-dehors, comme si le feu n’était pas parvenu à atteindre son coeur.

Elle ne tourne que légèrement la tête vers Jeanne, évitant de croiser son regard, et vient se saisir de la tasse d’une main si tremblante qu’elle renverse quelques gouttes de café sur le plancher. Jeanne s’étonne de la voir encore si secouée, même après être restée tant de temps auprès de la cheminée, mais ne s’en soucie guère.

Ce n’est pas grave, dit-elle aussitôt. Je nettoierai ça tout à l’heure.

Cependant l’inconnue ne lui répond rien, ne la regarde même plus, et ne s’est peut-être même pas rendue compte de ce léger incident. De nouveau, elle semble ailleurs, absorbée par la contemplation de cette simple photo, comme si rien d’autre n’existait en cet instant, pas même ce café auquel elle ne goûte pas.

Est-ce que vous allez mieux ? ” se risque Jeanne, inquiète.

Mais elle n’obtient pas de réponse. Malgré l'âpreté de ce premier contact, la mère de famille ne désespère pas. Elle impute cette attitude étrange à un probable état de choc dans lequel la rescapée se trouve certainement. Après tout, elle a sans doute dû frôler la mort de peu après avoir affronté une telle tourmente. Si elle n’était pas tombée sur leur chalet, seule habitation à des kilomètres à la ronde, qui sait si elle aurait survécu à cette nuit ? C’est pour Jeanne un heureux hasard, et aussi une chance inouïe : celle d’avoir pu aujourd’hui sauver une vie.

Nous allons bientôt passer à table, et je vous prie de nous rejoindre, fait-elle, patiente, sans même attendre de réponse. J’ai préparé une soupe bien chaude qui vous fera tout autant de bien.

Elle se redresse pour rejoindre le reste de la famille, tous trois installés sur le canapé autour du petit train, même si les yeux des deux enfants louchent davantage vers la mystérieuse inconnue que sur l’ouvrage de leur père. Néanmoins, celui-ci a terminé, et tend le jouet à son fils qui ne manque pas d’exprimer sa joie.

Ouah ! Merci ! Merci, Papa ! T’es le meilleur des papas ! ” s’exclame-t-il.

Je sais, je sais… répond-il fièrement. Allez, vous pouvez mettre la table maintenant. Pour cinq, ce soir. Et fissa.

Sans rechigner, les deux enfants partent s’exécuter aussitôt. Alors Jeanne s’approche, et Frédéric lui adresse un regard soucieux.

Alors ? Comment va-t-elle ? Elle a dit quelque chose ?

Et bien… Pas vraiment, fait-elle en secouant la tête. Elle est enfin séchée, mais elle tremble encore. Je pense qu’elle est encore en état de choc.

Je vois… Elle mangera avec nous, tu crois ? ” s’enquit-il.

Mais contre toute attente, c’est l’intéressée qui lui répond, en se levant lentement et délaissant couette et tasse de café sur le sol là où elle s’était tenue.

Oui, lâche-t-elle simplement avant de se retourner et de se diriger vers la table sous le regard médusé du couple. Où dois-je m’installer ?

Alors, avant même que Jeanne n’ait pu réagir, Frédéric se lève en hâte et s’approche.

Tenez ! Installez-vous là, je v…

Mais avant qu’il n’ait pu tirer la chaise qu’il lui destinait, avec peut-être un peu trop de galanterie aux yeux de sa femme, l’inconnue le prend de vitesse et saisit le dossier du siège d’un geste sec. Alors, sans un merci, elle s’y installe, tandis que les deux enfants s’affairent encore à mettre la table dans un concert de vaisselle malmenée. Pendant que Frédéric, décontenancé par une telle froideur de la part d’une femme, rejoint sa place sans trop savoir que dire, Jeanne s’en va quérir le souper. Les enfants s’assoient à leur tour alors que leur mère dépose le souper au centre de la table. Rectangulaire, on trouve aux deux extrémités de celle-ci, se faisant face, l’invitée et Frédéric ; sur l’un des côtés, la mère de famille, de l’autre, sa progéniture.

Maintenant qu’ils sont tous assis, c’est au silence de s’installer, car au coeur de cette tablée, il règne aussitôt un malaise évident, si bien que personne n’ose dire mot. Les deux enfants, l’air un peu perdu, tournent la tête d’un côté de l’autre avec un sourire naïf, sans trop comprendre ce qui ici se joue entre deux bouts de table. A leur gauche, la femme inconnue d’une beauté qu’il serait aisé de jalouser, chevelure de feu et coeur de glace, a ses yeux polaires plantés comme deux stalactites sur la personne qui lui fait face. A leur droite, leur père, qui répond à ce regard par le sien, non pas par choix, mais presque par obligation, comme s’il eût été fait prisonnier d’un seul coup d’oeil, à la fois par le désir, la fascination, mais aussi un étrange sentiment de soumission qui lui glace le sang. Face à elle, le colosse s’affaisse sur sa chaise, tombe les épaules et ravale sa virilité en guise de dîner.

Et au milieu, Jeanne, à qui bien sûr rien de tout ceci n’a échappé. Sentant l’indignation l’emporter sur la jalousie, elle décide de mettre fin à ce curieux échange en s’emparant de la louche.

Bien ! fait-elle d’une voix certes fragile mais dans laquelle on peut sentir vibrer une corde colérique. Si vous voulez bien me passer votre assiette, madame ?...

Amandine, répond leur invitée en tendant son assiette. Merci.

Enchantée, Amandine. Je suis Jeanne, et je vous présente nos enfants : Guillaume, Sophie… dit-elle en servant les deux concernés. Et voici, mon mari, Frédéric.

Enchanté, Amandine, poursuit l’homme d’une façon voulue charmante. Très joli prénom que vous avez là.

Ravie qu’il vous plaise. ” répond-elle curieusement sur un ton qui lui ne paraît en aucun cas ravi.

Alors que tous espéraient voir le mystère qui l’entoure se disperser une fois la conversation engagée, la dénommée Amandine ne cesse de se faire de plus en plus étrange de minute en minute, de mot en mot. Ne sachant trop que répondre, Frédéric invite donc à démarrer le repas.

Bien, alors… Bon appétit. 

Après quelques cuillerées dans un silence gêné, c’est Jeanne qui se risque alors poliment à reprendre la conversation, voyant que la jeune femme n’avait elle toujours pas attaqué sa soupe : 

Vous ne mangez pas ? s’inquiète-t-elle. Vous devriez reprendre des forces. Ça va vous réchauffer !

Non, merci. Je n’ai pas faim.

D-d’accord… En tout cas… Vous avez eu beaucoup de chance de nous trouver. Vous auriez bien pu mourir de froid, là-dehors ! Si… ce n’est pas indiscret, est-ce que je peux vous demander comment vous vous êtes retrouvée perdue en pleine montagne, par un temps pareil ?

Une réponse que tous attendent avec curiosité, et qu’Amandine leur fait languir de longues secondes.

Je cherche… quelqu’un.

Ici ? Dans cette montagne ? s’étonne Jeanne, à qui tout cela semble bien étrange. Vous ne vous seriez pas trompée ? En plus, vous avez entrepris un tel voyage sans la moindre affaire !

Par ici, oui. J’en suis certaine. J’avais un sac, mais je l’ai égaré dans la tempête. ” s’explique aussitôt la jeune femme.

Oh, c’est terrible… Se tournant un instant vers sa fille, elle lui demande : Sophie, tu veux bien aller chercher le fromage, s’il-te-plaît ?

Déçue à l’idée de manquer la suite de la conversation, c’est à contre-coeur que la gamine se lève, avant de se mettre à courir pour être revenue au plus vite.

Donc, vous avez en plus de ça perdu toutes vos affaires…Ce doit être très important pour vous, j’imagine, pour que vous entrepreniez un tel voyage. Je devine d’ailleurs à votre accent que vous venez de loin ?

D’Angleterre, en effet.

De si loin ! Je dois dire que vous parlez admirablement bien français.

Ma mère était française.

Oh, je comprends mieux. Ça explique aussi votre prénom. En tout cas, sachez que nous sommes très heureux d’avoir pu vous accueillir, et que nous ferons tout notre possible pour vous venir en aide.

C’est… très aimable de votre part. Merci. ” répond-elle avec cette fois plus de gêne que de froideur.

Je vous en prie, c’est bien normal. Est-ce que je peux vous demander pourquoi vous cherchez cette personne ?

Je dois… lui transmettre les dernières volontés de ma mère.

Oh… Je suis profondément désolée pour votre mère, compatit Jeanne qui pense avoir découvert ce qui rend cette jeune femme si amère. Et c’est pour elle que vous faites tout ça ? Sachez que c’est très honorable de votre part. Je suis admirative, vraiment.

Merci.

C’est vrai que ça force le respect, intervient Frédéric. Mais j’ai beau chercher, je vois mal qui pourrait être cette personne que vous cherchez. Il n’y a que nous, dans le coin. Si vous voulez trouver âme-qui-vive, il faut descendre jusqu’au village le plus proche, à quelques bons kilomètres de là. Comment s’appelle-t-elle ? Peut-être que je la connais ?

Amandine, pour la première fois, sourit.

Dominique Mercier.

Comme s’il avait été soudainement frappé par la foudre, Frédérique est parcouru d’un spasme violent. Dans la main de l’homme, la biscotte qu’il était en train de tartiner de fromage se brise en morceaux dans un vif sursaut.

Merde ! ” fait-il en déblayant les miettes tombées sur son pantalon.

Et avec angoisse, il redresse lentement la tête. Et comme il le craignait, elle le regarde. Avec le sourire vicieux de celle qui sait ce que tous ignorent. Un sourire qu’il est le seul à voir, comme toute l’attention est portée sur lui après son étrange réaction.

Tout va bien, Chéri ? demande Jeanne. Tu le connais, ce Dominique ?

Non. Non, je ne le connais pas. ” s’empresse-t-il de répondre d’un ton sévère en regardant sa femme.

Jeanne malgré tout sent bien qu’il y a quelque chose ici qu’on ne lui dit pas, même si elle ne le montre pas. Se tournant alors vers Amandine, qui a alors perdu tout sourire, elle dit :

Si le temps le permet, vous pourrez descendre en ville demain. Vous pourrez sûrement demander où le trouver là-bas. Quelqu’un doit bien le connaître. Je suis s…

Les enfants, la coupe Dominique, pressé de mettre fin au repas. Si vous avez terminé, au lit. C’est l’heure.

Oh non, Papa, encore un peu… ” quémande Guillaume.

J’ai dit : au lit ! ” vocifère-t-il presque.

La mine basse, les deux enfants se lèvent alors de table, déconfits. Toutefois, Sophie vient auprès de sa mère :

Tu viens nous raconter une histoire ?

Mais Jeanne, que son instinct de femme rend peu désireuse de laisser son mari en tête à tête avec leur belle invitée, secoue la tête.

Non, pas ce soir, les enfants. Désolée. Demain, c’est promis.

Mais…

Moi, je peux. ” se propose Amandine, à la surprise générale.

Vraiment ? ” s’étonne Jeanne.

Oui. Vous m’avez accueillie, soignée et nourrie. Peut-être même sauvé la vie. J’aimerais pouvoir me racheter un tant soit peu, c’est la moindre des choses.

Et bien, si vous…

Non. Ce n'est... ” s’interpose Dominique.

Mais tous les yeux se tournent alors vers lui. Et un seul de ces regards, un seul, suffit à lui faire perdre toute son assurance. Celui qui lui rappelle qu’elle le tient par la gorge.

Non… rien. ” bredouille-t-il.

Dans ce cas, c’est d’accord, conclut Jeanne. Ça vous dirait, les enfants ?

Les deux gamins, davantage marqués par l’étrange beauté d’Amandine plus que par sa froideur, acquiescent avec entrain.

Vous pourrez prendre le canapé du salon quand vous aurez terminé, indique Jeanne. Vous serez près de la cheminée, ce sera parfait. N’hésitez pas à rajouter quelques bûches. Je vais débarrasser puis nous irons aussi nous coucher, avec Frédéric. Je vous dis donc à demain. Nous verrons pour vous emmener en ville.

Très bien. Je vous remercie. Bonne nuit.

A vous aussi, Amandine.

Et tandis que Jeanne se met à débarrasser, Dominique lui sue sur son siège, son regard suivant Amandine qui disparaît à l’étage en compagnie de ses deux enfants qui sans gêne la tirent par les manches. Pour lui, tout commence à faire sens.

descriptionUn chalet isolé au cœur des Alpes françaises EmptyRe: Un chalet isolé au cœur des Alpes françaises

more_horiz
Un chalet isolé au cœur des Alpes françaises Star-Lord-an-old-vintage-doll-looking-like-a-little-blond-girl-83e7999c-c0c8-4827-9ac9-a388ba954cc8

descriptionUn chalet isolé au cœur des Alpes françaises EmptyRe: Un chalet isolé au cœur des Alpes françaises

more_horiz
Avec une excitation à peine dissimulée, les deux enfants entraînent leur invitée dans l’escalier, si vite qu’elle ne parvient presque pas à les suivre alors qu’ils empruntent les marches deux par deux. Arrivés en haut, ils traversent un large couloir faiblement éclairé et s’arrêtent devant la porte de leur chambre que Guillaume s’empresse d’ouvrir avant d’y entrer, aussitôt suivi par sa soeur. Se mettant chacun d’un côté de la porte, c’est avec une révérence enfantine qu’ils l’enjoignent à les rejoindre dans leur petit univers, celui des petits trains et des maisons de poupées.

Celle qu’ils appellent Amandine passe alors devant eux, sans même les regarder ni dire un mot. Le regard toujours impénétrable, ses yeux balaient la large pièce, s’arrêtant longuement sur chaque détail. Agissant toujours comme si les enfants n’étaient pas là, elle se met alors à faire le tour de la chambre, démontrant un intérêt vif pour tout ce qui s’y trouve. Devant les étagères où sont bien rangés quelques livres et bande-dessinées, elle les saisit et feuillette lentement, avant de les reposer de façon négligée. Arrivée au niveau du coffre à jouets, elle en attrape quelques-uns qu’elle manipule pour mieux les observer avec un regard étrange, pour finalement les jeter avec indifférence. 

Sur son chemin, elle caresse les décorations étoilées qui pendent du plafond et en attrape une qu’elle tire au point presque de l’arracher, mais qu’elle laisse finalement glisser entre ses doigts. Elle va même jusqu’à ouvrir les placards, farfouillant parmi les tenues comme si elle espérait y trouver quelque chose, mettant l’ensemble du linge sens dessus-dessous. Bien que surpris, et aussi quelque peu irrités par l’attitude de la jeune femme, les enfants n’osent rien dire, puisqu’ils ont été élevés de sorte à ne jamais remettre en question les actions d’un adulte.

Au fond de la pièce, elle finit par atteindre les lits des deux enfants, placés côtes à côtes, l’un recouvert de draps roses, et l’autre de draps bleus. Juste au-dessus de chacun d’eux, respectivement, les noms “ Sophie ” et “ Guillaume ”, écrits en lettres de bois d’apparence artisanale, peintes à la main et plaquées contre le mur. A en juger par le contenu de leur chambre, on peut aisément penser que la fratrie ne semble manquer de rien, du moins pour tout ce qui a trait au matériel. La visite d’Amandine se termine ici, où elle vient se poser sur le lit de Sophie, avant de prendre une profonde inspiration comme pour humer l’odeur de lessive qui s’en dégage. Ni Sophie ni Guillaume ne s’en rendent compte, mais elle tord nerveusement les draps entre ses mains.

Eux ne pense qu’à l’intérêt qu’ils pensent qu’on leur porte, et tout heureux de pouvoir se découvrir à une inconnue si curieuse, ils vont chacun chercher quelque chose pour fièrement lui montrer. Guillaume apporte son train tout juste rafistolé qu’il lui dépose sur les genoux avec un grand sourire.

Regarde ! Tu as vu comme il est beau, mon train ? fait-il d’un ton naïf. C’est mon Papa qui l’a fait. Pour mon anniversaire ! J’ai cinq ans !

D’une main tremblante, elle se saisit du jouet pour l’observer avec un regard chargé d’un mépris que les enfants ne perçoivent pas.

C’est… lui qui l’a fait ?

Oui. Il est fort, pas vrai ?

Très fort, oui… Il sait en faire, des choses, de ses mains. ” dit-elle presque à part soi en le lui rendant.

Souhaitant à son tour s’accaparer l’attention de leur invitée, Sophie s’empresse alors de lui tendre l’un de ses dessins, très réussi compte tenu de son âge. On peut y reconnaître sans problème le chalet, ainsi que la famille au complet, tout sourires, tracés et coloriés avec adresse aux crayons de couleur.

Moi aussi je suis forte ! Papa dit que j’ai tiré de lui. Il est beau, mon dessin, pas vrai ? fait-elle en reprenant quelques mots de son frère. Là, c’est notre maison, là c’est moi, mon frère, Papa, Maman… Et ça, c’est un chien. On a pas de chien mais comme j’aimerais en avoir un, j’en ai mis un !

Elle se met à glousser. Amandine, elle, ne semble en aucun amusée par ce qu’elle voit. C’est à peine si elle a écouté un seul mot venu de la gamine. Là aussi, la feuille entre ses doigts se met à trembler, de plus en plus fort, tandis que sa main se crispe, serre et serre encore jusqu’à ce que le papier se froisse entre ses doigts.

Hé ! Attention, tu vas me l’abîmer !

Dans une sorte d’état second, la jeune femme ne s’en était même pas rendue compte. Aussitôt elle desserre sa prise et rend son bien à la petite.

…Désolée.

Ce n’est pas grave, je sais l’arranger. ” répond Sophie avec une certaine fierté en aplatissant son dessin sur son ventre avant d’aller le poser.

Vous aimez vos parents ? ” demande soudain Amandine.

Oui ! ” répondent-ils avec franchise.

Et eux, ils vous aiment ?

Bah… Oui ! ” répondent-ils encore, malgré l'étrangeté de la question.

Vous en avez de la chance.

Ils acquiescent vigoureusement. Alors qu’ils s’apprêtent à lui amener d’autres choses encore, Amandine les freine soudain dans leur élan.

Ça suffit. Je suis venue ici pour vous raconter une histoire, pas pour faire l’inventaire de votre chambre. Dans vos lits. ” fait-elle d’un ton calme qui pourtant ne laisse pas de place à la discussion.

Sachant qu’ils ne pourraient gagner plus de temps, les deux enfants se glissent sous leur draps. Sophie s’est saisie d’un livre sur l’étagère qu’elle tend à la jeune femme.

Tu nous lis ça ?

Qu’est-ce que c’est ?

Je ne sais pas. ” répond la môme en haussant des épaules.

Comment ça, tu ne sais pas ? Elle se saisit du livre. C’est marqué dessus.

Mais… Je ne sais pas lire, moi.

Tu ne sais pas lire ? A ton âge ?

Maman ne sait pas trop lire non plus, alors…

Qu’est-ce que tu veux dire ? Vous n’allez pas à l’école ?

Non, c’est trop loin, dit Papa. Il dit aussi que ça ne sert à rien, de toute façon. Alors on fait l’école à la maison. C’est Maman qui nous apprend tout.

Et qu’est-ce qu’elle vous apprend, si elle ne vous apprend pas à lire ?

Hé bien… A faire… Elle énumère à l’aide de ses doigts. Le ménage, la cuisine, les lessives, la couture… Toutes ces choses-là.

…Je vois. Donc ces livres ne sont là que pour décorer.

Un peu, fait-elle bêtement. J’ai choisi celui-là parce que j’aime bien la couverture. Alors, c’est quoi comme livre ?

Le Petit Chaperon Rouge.

Oh ! On connaît cette histoire ! s’exclame Guillaume. C’est celle où un loup se déguise…

Moi aussi, je la connais. Mais je ne vais pas vous lire de livre. J’ai ma propre histoire à vous raconter.

Intrigués, les yeux des enfants brillent d’excitation tandis qu’ils s’installent confortablement dans leur lit, fin prêts à écouter cette histoire inédite. Sans un mot, ils attendent patiemment que l’inconnue démarre son récit. Pendant de longues secondes, on entend plus que leur respiration, quelque peu couverte par les rugissements de la tempête qui vient s’écraser sur les volets solidement fermés. Quand enfin, l’histoire commence.

C’est l’histoire… d’une Reine. D’une Reine et de sa fille. La… Princesse.

A l’entente de ces quelques mots, les yeux de Sophie luisent déjà d’intérêt.

Comment elle s’appelle, la Princesse ?

… Apolline. La Reine et la Princesse avaient leur royaume, un petit royaume, qui n’avait rien d’extraordinaire, mais elles y étaient heureuses. Elles étaient ensemble, et c’est tout ce dont elles pouvaient rêver. Mais… Le royaume a fini par devenir très pauvre. Les gens y tombaient malades et mouraient de faim, et la Princesse aussi. La Reine savait que son royaume ne pouvait perdurer si elle ne trouvait pas un Roi pour régner à ses côtés et sauver son peuple.

Un jour, un Roi venu d’ailleurs se présenta à elle. Il était très beau, très charmant, mais aussi très riche. Il couvrit la Reine de cadeaux et fit tout pour se faire aimer. Alors, la Reine pensa que c’était le bon. Ils se marièrent et ainsi, trônèrent ensemble. La Reine partagea avec lui son pouvoir, et lui donna même les clés du château. Avec les richesses qu’il apportait, le royaume était sauvé…

C’était court, comme histoire. ” fait Guillaume, déçu.

Ce n’est pas terminé. Maintenant que le royaume dépendait de lui, le Roi… se mit à changer. A montrer son véritable visage : celui d’un odieux personnage. Il n’était, lui aussi, qu’un loup déguisé en agneau. Il devint alors terriblement mauvais, et fit enfermer la Reine et la Princesse dans une cage dont elles ne pourraient plus jamais sortir.

Oh ! Le méchant ! ” commenta Sophie.

A cause de l’obscurité, l’enfant n’en est pas tout à fait certaine, mais il lui semble que le visage d’Amandine a quelque peu changé. Peut-être n’est-ce là qu’un curieux jeu d’ombre, mais elle croit voir des zones sombres se creuser sous ses yeux comme dans ses joues. Sous cet angle, l’inconnue lui paraît bien moins belle qu’auparavant.

Mais un jour, après des années de captivité et de souffrance, la Reine parvint par miracle à s’échapper. Des griffes du Roi, elle sauva sa fille, et s’en alla chercher ses soldats. Avec leur aide, elle fit chasser le souverain cruel du royaume et retrouva ainsi la liberté. De nouveau, la Reine et la Princesse pouvaient connaître le bonheur…

Bien fait pour lui ! dit Guillaume avec joie. Moi, le Roi, je l’aurais chassé à coups de pied !

Malheureusement, l’histoire ne s’arrête pas là, fait-elle d’un ton grave qui fait aussitôt retomber les sourires. Alors que le royaume semblait enfin libéré du joug du Roi, il refit surface sans crier gare, des mois plus tard, pour se venger. Avec toute une armée, il attaqua le royaume et enfonça les portes du Château. Sur le chemin, il fit tuer tout le monde, et lorsqu’il trouva la Reine, il lui ôta lui-même la vie en la passant au fil de l’épée, sous les yeux horrifiés de la Princesse. La pauvre enfant tenta de sauver sa mère, mais elle était trop petite, trop faible. Impuissante, elle ne pouvait que regarder l’affreux Roi la priver de sa mère, de son royaume, de son bonheur. De son enfance. En un seul soir, il lui avait tout pris.

Le Roi, cruel, la laissa en vie, simplement pour qu’elle puisse souffrir d’avoir tout perdu. Il l’abandonna là, à pleurer sur le corps de la défunte reine, et quitta le Royaume pour ne plus jamais y revenir, un sourire sur les lèvres.

Les enfants n’osent plus souffler mot. C’est de larmes que brillent leurs yeux maintenant, émus par l’histoire tragique de cette Princesse Apolline. La mine grave, ils attendent d’entendre la suite, se demandant si cette histoire finira bien ou non. Mais plus le récit avance, plus le visage d’Amandine paraît inquiétant, ce qui ne laisse certainement rien présager de bon.

Alors la Princesse jura vengeance. Au nom de sa mère la Reine, elle retrouverait le Roi et lui ferait payer ses méfaits. Elle se fit la promesse de le faire souffrir comme elles ont souffert, et de lui reprendre tout ce qu’il lui avait volé. Elle prendrait son bonheur. Elle prendrait son royaume. Elle lui prendrait tout et ne lui laisserait rien. Pas même la vie. Mais elle n’était encore qu’une pauvre petite Princesse, faible et fragile. Face à lui, elle n’avait pas la moindre chance. Il lui fallait devenir une guerrière. Alors, même si cela devait lui prendre des années, elle s’entraîna, encore et encore, pour devenir plus forte.

Si elle voulait pouvoir combattre le Roi, elle devait être aussi puissante que lui, et même le surpasser. Elle devait être capable des mêmes horreurs, et pire encore. Elle allait devoir devenir plus cruelle qu’il ne pouvait l’être. Si bien que bientôt, elle n’eut plus rien d’une Princesse. Elle était devenue plus qu’une combattante : un véritable monstre. Violente et impitoyable. Prête à tout sacrifier et à ne reculer devant rien. Elle était fin prête.

Monstrueux, un terme qui définirait à la perfection le visage d’Amandine à cet instant. Cette fois, plus de doute, en quelques minutes ses traits ont entièrement changé. De sa beauté fascinante, il ne reste plus rien. Elle est maintenant, aux yeux des enfants tétanisés, terriblement laide et même effrayante. Avec des yeux ronds, ils la fixent, tremblant sous leurs draps, incapable de reconnaître en la personne qui leur fait face l’Amandine qui s’était présentée à eux. C’est à peine s’ils écoutent encore l’histoire qui leur est contée. Mais Apolline ne s’en soucie guère. Davantage pour elle que pour eux, elle poursuit, d’une voix de plus en plus chargée de colère.

Quand enfin, elle finit par le retrouver. Le jour de la vengeance était enfin venu. Il avait fui, avec son trésor, et s’était caché au sommet d’une montagne, espérant pouvoir rester impuni. Il pensait profiter d’une vie heureuse avec la famille qu’il avait fondée, à qui il avait offert tout ce qu’il avait arraché à la sorcière. Mais c’était naïf de sa part de croire qu’il pourrait s’en sortir aussi aisément. Lorsqu’elle toqua à la porte, après avoir bravé la tempête, elle découvrit avec horreur que tout était là. Que tous profitaient de ce qu’on lui avait volé. Il offrait à d’autres ce dont il l’avait privée. Cet amour, ce bonheur, cette vie de famille heureuse. Cette enfance insouciante. Tout cela lui revenait de droit. Il n’a pas…

De colère, son visage se déforme. Maintenant que le masque est tombé, le loup se découvre à eux. Dans leurs lits, les enfants se mettent à pleurer silencieusement. Ils ont bien réalisé que le récit prenait une tournure étrange, sans vraiment comprendre pour autant. Cependant, d’instinct, ils le sentent : ils sont en danger. Mais paralysés par la peur, ils n’osent faire le moindre geste, ni émettre un seul son.

Il n’a pas le droit. Il n’a pas le droit de vivre cette vie qu’il m’a volée, gronde-t-elle. Vous n’avez pas le droit. C’est injuste. Tout ceci devrait m’appartenir. A moi et à ma mère. Ce devrait être nous. Je refuse… de vous le laisser.

Des mots qui sonnent comme le caprice d’une enfant blessée. Apolline se redresse alors, et ses yeux déments fixent les deux gamins qui dépassent à peine de sous leurs draps. Même pour eux, il semble évident que la femme terrifiante qui leur fait face a sombré dans la folie. Elle lève alors un bras, et pointe vers eux sa sombre baguette ornée d'un Sombral qui ne peut être qu'annonciateur d'un triste destin.

Alors je vais vous le reprendre ! ” enrage-t-elle.

descriptionUn chalet isolé au cœur des Alpes françaises EmptyRe: Un chalet isolé au cœur des Alpes françaises

more_horiz
Un chalet isolé au cœur des Alpes françaises Grid-0

Trigger warning : violence, gore, meurtres, immoralité


Un chalet isolé au cœur des Alpes françaises Star-Lord-the-face-of-a-man-suffering-with-his-both-eyes-and-an-22c42fb0-1ef8-4617-8fc2-99f3459f2e10

descriptionUn chalet isolé au cœur des Alpes françaises EmptyRe: Un chalet isolé au cœur des Alpes françaises

more_horiz
Dans son lit, aux côtés d’une Jeanne insouciante assoupie, Dominique est incapable de fermer les yeux, les paupières écartelées par l’angoisse. Le corps tendu comme un arc, la mâchoire serrée à en grincer des dents, il se sent incapable du moindre mouvement. Lui aussi, c’est la peur qui le paralyse sous ses draps alors que la crainte le ronge. Il sait qu’une ombre plane sur lui, qu’un danger le menace lui et sa famille. Il sait qu’il devrait monter, remplir son rôle d’homme et de père en protégeant ses enfants, mais il n’ose simplement pas l’affronter. C’est l’incertitude qui lui fait perdre tout courage. Que pourrait-il bien faire ? Elle sait. En quelques mots, elle pourrait tout détruire, tout ce qu’il aime, tout ce qu’il a bâti ces dernières années. Mais qui est-elle ? 

Bien que la réponse lui semble évidente, il refuse d’y croire. C’est impossible, tout simplement impossible. Cette maudite gamine… Apolline. Mais elle devrait être morte, à l’heure qu’il est. Sa maladie n’aurait jamais pu lui permettre de survivre aussi longtemps. Et quand bien même elle aurait survécu… Elle ne ressemblerait en rien à cette maudite succube qu’il a laissée passer le pas de sa porte, mais plutôt à une femme monstrueuse et difforme. Si ce n’est elle, alors ce ne peut être qu’un démon. Un fantôme chargé de haine venu le tourmenter. Et quand bien même ce serait elle, comment l’aurait-elle retrouvé ? Il a fui à travers le pays, changé d’identité plus de fois qu’il ne peut s’en souvenir, et vit presque en ermite depuis plusieurs années déjà. Il est tout simplement inconcevable qu’on ait pu remonter jusqu’à lui. Mais il est plus absurde encore de croire que ça puisse être vraiment elle.

Et pourtant, elle a donné ce nom… Dominique Mercier. Il ne l’avait pas entendu depuis bien longtemps. Un nom, comme tant d’autres, qu’il a préféré laisser à un passé sur lequel il a fait un trait définitif. Une vie de crimes et de cavales qu’il a aujourd’hui abandonnée, assagi, presque repenti. Désormais il n’aspire qu’à une existence paisible, avec sa femme, ses enfants ; et jusqu’à ce soir, tout allait bien. Isolé dans les montagnes, coupé du monde qu’il a connu, il se pensait à l’abri. Mais il le savait, s’en doutait, le redoutait : ce jour finirait par arriver. Il ne pourrait fuir éternellement le monstre qu’il a été - ni celui qu’il a créé. Aujourd’hui, ses démons l’ont rattrapé, et viennent réclamer que justice soit faite.

C’est à ce moment qu’il les entend. Leurs hurlements. Ceux qu’un parent espère ne jamais avoir à connaître. Depuis l’étage, toute la souffrance et la peur de ses précieux enfants transpercent soudain les murs en cris déchirants et incessants. Et pourtant, étrangement, il ne réagit pas : son sang se glace, son coeur s’arrête. Ce n’est que lorsque Jeanne, affolée, le secoue en lui hurlant dessus qu’il parvient à sortir de sa torpeur.

Frédéric ! Frédéric ! Lève-toi ! Les enfants !

Dans un sursaut, il se redresse, revient à lui grâce aux suppliques de sa femme, et la détresse de son aimée lui rend soudain un peu de ce courage qui lui faisait défaut. Peu importe ce qu’il adviendra de lui, de quoi cette femme puisse être capable : il doit répondre à l’appel à l’aide de ses enfants. Protéger coûte que coûte la chair de sa chair, au péril même de sa vie. Car l’important, c’est bien l’homme qu’il est aujourd’hui : un mari et un père, qui se doit d'accomplir son devoir.

Surtout, ne bouge pas ! ” crie-t-il à sa femme avant de sortir du lit d’un bond.

Il sort de la chambre, se rue dans l’escalier et rejoint l’étage. Plus il se rapproche, et plus les cris se font puissants, absolument insoutenables. Stridents et hystériques, ils se fichent dans son crâne, dans son coeur, traversent son corps et son esprit de part en part comme la lame d'un couteau. Il n’a jamais rien entendu de tel, pas même durant la guerre. Marche après marche, il sent la peur reprendre le dessus, mais il ne s’arrête pas pour autant. Dans ces hurlements atroces, il reconnaît à peine la voix de ses enfants déformée par la terreur. Il n’ose même pas imaginer ce qu’ils sont en train d’endurer. Ce que ce démon leur fait subir. Lorsqu’il arrive en haut, le large couloir est plongé dans la pénombre et la fumée, mais il n’a pourtant aucun mal à distinguer la porte de la chambre de Guillaume et Sophie dans l’obscurité. Car de derrière la porte close, une lueur anormale s’échappe à travers les interstices. Dominique comprend aussitôt de quoi il s’agit, ce qui fait hurler ses enfants ainsi : ils sont en train de brûler vifs.

En quelques pas à peine, il se retrouve devant la porte, et saisit la poignée avant de crier de douleur. Il se saisit la main, blessée par le métal devenu brûlant.

Merde ! Putain ! jure-t-il. Sophie ! Guillaume ! J’arrive !

Papa ! A l’aide, Papa ! Papa ! ” hurlent des voix suraigües de derrière la porte.

En se servant de son marcel comme d’un gant, il protège sa main et tente une nouvelle fois d’actionner la poignée. Mais la chambre est solidement fermée à clé, ce qui dans la panique ne lui avait même pas traversé l’esprit. Alors, il recule, prend son élan, et sans réfléchir se rue contre la porte, épaule vers l’avant. Mais au bout de sa course, il s’écrase brutalement contre le bois devenu dur comme de la pierre, et se disloque l’épaule dans un craquement sonore. En hurlant, il glisse contre la porte, et se met à pleurer. A cause de la douleur, mais aussi de rage, d’impuissance. Un rien le sépare de ses enfants qui sont en train de mourir dans une souffrance indescriptible, mais il ne parvient pas à les atteindre. Et ils hurlent, hurlent encore. Sonné par le choc, il se met à tambouriner de toutes ses forces sur la porte de son bras valide, mais c’est inutile.

Guillaume ! Sophie ! Non ! Non ! Merde ! Jeanne ! ” se met-il, lui aussi, à appeler à l’aide.

Sans qu’il ne comprenne comment, cette vieille porte en bois s’est changée en un rempart impénétrable. Il n’y a plus rien qu’il puisse faire. Blessé, il peine même à se relever. Alors, il ne lui reste qu’une seule solution : hurler et supplier comme ses enfants le font.

A l’aide ! Je… je t’en supplie, arrête ! Arrête ça ! Je t’en supplie !

Mais il n’entend rien, si ce n’est la toux étouffée et les suppliques de ses enfants qui faiblissent peu à peu.

 “ Merde ! Je t'en supplie, A… Apolline ! ” sanglote-t-il, désespéré.

Et alors, venue du fond de l’obscur couloir, répondant à l'appel de ce nom qui est le sien, une silhouette se découpe lentement dans la lueur de l’incendie. Et dans l’affreux faciès émacié qu’il découvre, il la reconnaît dans sa laideur cadavérique. Le voilà, son vrai visage. C’est bien elle, ça ne fait plus aucun doute. Il se souvient parfaitement de ce qu’il lui a fait. Il devine sans peine ce qu’elle est venue chercher.

C’est ça que tu veux, Dominique ? ” fait-elle d’un ton amusé.

Elle tend alors la main, dans laquelle un objet scintille dans l’obscurité : la clef de la chambre qu’il reconnaît aussitôt. Avec son pitoyable visage en pleurs, il acquiesce et supplie du regard. Elle laisse alors tomber la clef juste devant elle, le forçant à ramper pour venir la chercher. Malgré son épaule déboitée, surmontant la douleur, il se traîne jusqu’à elle en gémissant. A ses pieds. En se saisissant de la clé, il se risque à la regarder. Et son sourire le terrifie. Il est jubilatoire. Elle se réjouit visiblement de sa détresse. Il aimerait pouvoir se jeter sur elle et la massacrer de ses poings, lui arracher cette expression de son horrible visage. Mais il doit avant tout sauver ses enfants. Alors qu’il rampe pour faire demi-tour, un poids vient s’écraser sur son épaule blessée, lui arrachant un hurlement qui vient couvrir ceux de sa progéniture. D’un pied cruel qu’elle remue avec force, elle prend plaisir à l’immobiliser et le faire souffrir.

Arrête ! Laisse-moi ! Laisse-moi, merde !

Il sent qu’on le libère, et sans un regard en arrière, se remet à avancer en direction de la porte. Il se redresse à grand peine sur les genoux, et approche enfin la clé de la serrure, quand soudain quelque chose le saisit à la gorge. Comme un barbelé qui s’enserre autour de son cou et le tire vers l’arrière, l’empêchant une fois de plus d’ouvrir la porte. Mais poussé par les cris de détresse de ses enfants, il tente de lutter quand même : quelques centimètres à peine le séparent de son objectif. Mais plus il lutte et tente de s’approcher, plus la corde autour de son cou l’étrangle, plus les pointes impitoyables pénètrent sa chair devenue sanguinolente. Suffoquant, il tente désespérément d’atteindre cette porte de sa main tremblante en poussant de ridicules cris porcins de sa gorge lentement broyée. La clef lui glisse des doigts alors que peu à peu, il perd connaissance. Sa vue se trouble, ses sens l’abandonnent, et sous ce voile noir qui l’envahit, une seule chose subsiste alors : les cris d’agonie.

Mais il reconnaît, dans sa presque conscience, la voix de sa femme qui à sont tour vient de monter. Jeanne, armée d’un couteau, traverse le couloir en hurlant, droit vers Apolline. Elle ne ressent pas la moindre peur. Elle ne réfléchit pas. Seul l’instinct maternel la guide en cet instant, moteur de chacun de ses gestes. Elle doit sauver ses enfants, peu importe ce qu’elle doit faire ou affronter pour leur venir en aide. Dominique sent alors l’emprise autour de son cou disparaître et s’affale par terre. Une main sur sa gorge humide, il reprend peu à peu ses esprits dans une violente toux. Et puis, un flash lumineux. Un cri. Un bruit sourd mêlé à celui d’un craquement ignoble. Il redresse difficilement la tête, et voit Jeanne étalée sur le sol. Les yeux grands ouverts, fixés sur lui, mais dénués de toute expression. Son cou, tordu dans un angle impossible. Sans vie.

J… Jeanne… ” tente-t-il de crier, mais il parvient à peine à souffler son nom dans sa respiration souffrante.

Et dans un même temps, il aperçoit la clé, sur le sol non loin de lui. Il n’a pas le temps de se morfondre. Il s’en saisit, espérant cette fois avoir le temps d’ouvrir la porte. Il la rentre enfin dans la serrure, et n’a plus qu’à la tourner pour libérer ses enfants de la mort qui les attend. Mais une force invisible vient alors se saisir de ses doigts, les tord et les broie brutalement. Comme sous l’effet de cent coups de marteaux, il sent ses os se briser de part en part, des ongles jusqu’au coude. Tout son avant-bras, réduit en miettes, retombe mollement. La souffrance est telle qu’il se roule de douleur sur le sol. Il hurle. Mais il est seul, cette fois. Lorsque son cri meurt, ce n’est que pour laisser place à un terrible silence. Derrière la porte, on n’entend plus rien, si ce n’est les rugissements des flammes voraces qui commencent à dévorer les murs comme la toiture. Les voix de ses enfants se sont tues. Alors, il hurle de plus belle à s’en déchirer la gorge, s’affaisse et fond en larmes. Dans ses gémissements, on perçoit sans peine la douleur et la désolation d’un père en deuil. Avec désespoir, il frappe sa tête à s’en fendre le crâne contre la maudite porte qui a scellé le sort de Guillaume et Sophie. En l’espace d’un soir, en quelques instants à peine, il a tout perdu.

Il se retourne tant bien que mal, pour faire face au corps inerte de sa femme. Et dans ses yeux sans vie, il a le sentiment qu’on l’accuse et le blâme. Dans le visage de la défunte, il lui semble un instant en reconnaître un autre. Entre ses plaintes et lamentations, il murmure quelques excuses inaudibles entrecoupées de sanglots. Mais les pas d’Apolline, impitoyable, se font entendre. Elle se dresse face à lui, le surplombe, et aussi petite soit elle, sa présence l’écrase et l’oppresse. Ce n’est pas Apolline. Pas celle qu'il a connue. C’est un monstre, une force occulte et vengeresse. Ça n’a rien d’humain. Ce dont cette chose est capable… dépasse son entendement. Malgré la douleur et l’effroi, il redresse la tête pour la supplier du regard.

P-pitié… ” 

Tu ignores tout de ce qu’est la pitié. Je n’en aurai pas pour toi.

Je… Je suis… désolé… ” balbutie-t-il vainement.

Je le suis aussi. Mais pas pour toi. ” dit-elle en pointant sur lui sa baguette.

Il comprend que cette chose dirigée vers lui a le pouvoir de le tuer, mais il ne peut ni fuir ni lutter. Seulement subir le sort qui l’attend. Peu importe ce qu’il dira, rien ne peut plus le sauver. Il peut la voir dans le regard d’Apolline, cette frénésie meurtrière que rien n’arrête. Un besoin de tuer plus fort que la faim et la soif. Un désir tout-puissant de prendre et d’écraser la vie.

Qu’est-ce… Qu’est-ce que tu es ?...

Un monstre. Un monstre à ton image. Elle s’avance encore d’un pas vers lui, ce qui le fait trembler davantage encore. Cette peur, cette peine, cette douleur que je lis sur ton visage, que j’entends dans tes pleurs pitoyables. Ce sont celles de ma mère. Ce sont les miennes. Aujourd’hui, ce sont les tiennes. C’est tout ce que je te laisse. C'est tout ce que tu m'as laissé.

C’était… C’était des enfants, merde ! crie-t-il avec l’énergie du désespoir. Ils n’avaient rien à…

Alors, c’est au tour de la sorcière d’enrager. Elle qui paraissait si calme l’instant d’avant explose soudain. Des larmes s’échappent en abondance de ses yeux déments injectés de sang. Elle paraît simplement… dévastée, par la rage, la colère. La peine. Si bien qu’il devient difficile de dire qui, des deux, souffre le plus à ce moment.

Et moi ?! Et moi, Dominique ? Moi aussi, je n’étais qu’une enfant ! Je n’étais qu’une enfant, quand tu m’as tout pris !

Je… je ne t’ai pas tuée… Je t’ai pas tuée, merde !

Tu aurais dû ! Tu aurais mieux fait, oui. Tu veux me faire croire que tu voulais m’épargner ? Tu voulais simplement que je souffre le temps qu’il me restait à vivre, sombre fils de pute !

C’est…

Ferme-la ! Tu as fait une erreur en me laissant vivre, Dominique. Une erreur que je ne ferai pas ! Je ne souhaite à personne de vivre ce que j’ai traversé. De ressentir ce que j’ai pu ressentir. Ni de devenir ce que je suis devenue !

Tu n'es qu'une... ” commence-t-il, avant de pousser un hurlement soudain.

Cette fois, ce sont les os de l’une de ses jambes qu’il sent se briser violemment dans un craquement sinistre.

Je t’ai dit de la fermer ! Je ne veux plus t'entendre ! vocifère-t-elle. Ta femme et tes enfants sont bien mieux là où ils sont, plutôt que de vivre dans le mensonge, ou dans la haine. Ils sont ensemble, quelque part où tu n’iras pas. Toi, je t’envoie pourrir en Enfer !

Et sur ces mots, elle lui brise l’autre jambe d'un nouveau sortilège. Il a tout juste la force de crier de nouveau. Il glisse jusqu’à se retrouver allongé sur le sol. Il n’est plus capable de bouger le moindre membre ; c’est à peine s’il peut remuer tant la douleur l’irradie de part et d’autre. Il est désormais entièrement à sa merci. Elle se met alors au-dessus de lui, s’écrase de tout son poids sur son corps souffrant. Et elle se met à le frapper sauvagement au visage à l’aide de ses poings, encore, et encore, jusqu’à ce que la peau enfle, que son nez saigne et se torde, jusqu’à ce que ses lèvres éclatent et que ses yeux ne puissent plus s’ouvrir. Sous les coups répétés, le corps meurtri de l’homme est secoué de soubresauts de plus en plus faibles à mesure qu’Apolline se déchaîne bestialement. Alors que lui peu à peu se tait, elle se met à pousser des cris qui se font plus hystériques à chaque coup qu’elle porte.

Lorsque de son visage tuméfié ne s’échappe plus qu’un souffle mourant, elle saisit sa tête entre ses mains, et se baisse jusqu’à pouvoir lui murmurer au creux de l’oreille. Elle ne sait pas s’il l’entend, ni même s’il est encore conscient, mais elle tient tout de même à lui faire une promesse. 

Ne pense pas que c’est terminé, fait-elle d’une voix dénuée de raison. Je n’en ai pas fini avec toi, tu entends ? L’Enfer, je t’y rejoindrai bientôt. Je te poursuivrai. Même dans la mort. Toute une vie, j’ai souffert de ce que tu m’as fait. Et je te le ferai payer pour l’éternité. Tu entends ?

N’obtenant pas de réponse, elle enrage. De ne plus l’entendre souffrir. Elle vient alors de toutes ses forces enfoncer ses deux pouces aux ongles pointus entre ses paupières gonflées, jusqu’à ce qu’ils baignent dans le sang, jusqu’à sentir quelques chose céder sous la pression, jusqu’à ce qu’elle ne puisse plus voir ses doigts tant ils sont profondément enfouis dans ses orbites. Et tandis qu’elle l’achève de ses mains, elle pousse un dernier cri. Il n’a rien de triomphal, non : c’est un cri profond d’agonie. Dominique a un dernier sursaut, et laisse s’échapper un ultime râle avant de se taire à jamais.

descriptionUn chalet isolé au cœur des Alpes françaises EmptyRe: Un chalet isolé au cœur des Alpes françaises

more_horiz
Un chalet isolé au cœur des Alpes françaises Star-Lord-redhead-girl-gothic-Witch-standing-in-front-of-an-old-2d6f3703-e8ef-4e21-a911-8781bd1d2f04

descriptionUn chalet isolé au cœur des Alpes françaises EmptyRe: Un chalet isolé au cœur des Alpes françaises

more_horiz
privacy_tip Permission de ce forum:
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum