Il était d'usage chez nombre de jeunes sorciers de s'engouffrer un jour ou l'autre dans la tristement célèbre allée des embrumes. Pour prouver son courage souvent, parfois pour satisfaire une certaine curiosité morbide. Si peu d'entre eux craignaient assez sa sinistre réputation pour se refuser à y faire plus d'une petite centaine de mètres, peu nombreux étaient à l'inverse suffisamment téméraires pour en voir le bout. Généralement, l'humidité révulsante et les silhouettes fugitives des groupes d'étrangers aux airs patibulaires qui s'échangeaient des regards entendus et carnassiers après avoir vu les jeunes, suffisaient à mettre un terme à ces petits rites d'initiation. Certains se contentaient d'entrer dans une boutique à la devanture poisseuse pour y observer quelques éprouvettes renfermant des liquides aux remugles douteux, et achetaient un petit quelque chose d'allure folklorique pour le brandir en trophée devant leurs camarades plus sensibles et prouver leur supériorité.
Rares, très rares étaient ceux qui atteignaient la petite boutique en angle nommée "le veau d'or", dont le nom était inscrit en caractères gothiques à demi-effacés sur un vieux panneau de bois. Rares étaient ceux qui empruntaient la ruelle montante perpendiculaire à l'artère principale en partant de ce point précis. Cette veine étriquée au pavage sporadique grimpait inlassablement en pente raide, et se voyait bordée de maisons de pierre mornes, biscornues et étouffantes qui se rejoignaient presque par endroits en leur sommet. Le soleil filtrait à peine entre les toits, éclairant au mieux les fenêtres des derniers étages en dehors de quelques moments précis de la journée. C'était une impasse, qui se finissait brusquement par un mur moussu et partiellement recouvert de lierre, auquel était apposé une petite fontaine qui prenait les traits d'un poisson carnassier vomissant de l'eau dans une soucoupe de pierre moisie. Nul ne savait vraiment si quelqu'un savait ce que ce mur cachait, et à part la jeune Saskia, nul ne se posait à vrai dire la question.
Sur la gauche du point d'eau, une minuscule échoppe aux allures clandestines tenue par un indien centenaire au turban difforme vendait des poudres et herbes "traditionnelles", aux effets réputés pour briser les sens et la perception de la réalité des sujets qui s'y essayaient. Dans l'entrée de cette échoppe, se trouvait un petit escalier en colimaçon aux marches de bois si fines qu'il fallait l'escalader comme une échelle ratée. Tout en haut, une porte bleue dotée d'un judas cuivré toisait les rares visiteurs.
C'était derrière cette porte que Fiodor Lyssenko avait élu domicile après sa presque fuite de l'URSS avec sa fille bâtarde. L'homme ne travaillait pas. Il ne percevait qu'une maigre pension de sa famille en attendant désespérément leur décès pour enfin poser ses pattes assassines sur le magot qu'ils cachaient. Enfin, d'après lui il travaillait... mais il fallait accepter la réalité : sa poésie morose n'atteignait pas les cœurs trop candides des anglais autant qu'il l'espérait. Ses maigres revenus ne lui permettaient donc pas de se loger ailleurs que dans ce lieu miteux et malfamé. Tout du moins, pas avec son actuelle consommation d'alcool et autres substances, pas avec son goût pour le jeu, pas avec les nombreux créanciers qui lui couraient après et parfois le passaient à tabac.
Dans l'entrée se trouvait un petit salon, souvent en désordre à cause des crises de folie du russe. Un canapé rouge faisait face à une table basse où s'entassaient les journaux et les livres, les tasses de thé et les bouteilles à demi vides. Pour une raison qui échappait à la raison elle-même, deux pendules se faisaient face aux extrémités de la pièce, l'une en citronnier de Ceylan adoptait une teinte vaguement dorée, l'autre en bois d'acajou se parait de cette couleur rouge-marron si caractéristique et d'arabesques gravées. Les deux ne s'accordaient pas ensemble, un cliquetis d'aiguille constant, lancinant, exténuant envahissait donc l'air. Du petit mobilier envahissait le reste de l'espace, couvert de babioles et de bricoles qui souvent pouvaient se rattacher à la Russie et chargeaient la pièce de couleurs vives et variées. Un âtre central servait l'hiver à immoler des bûches en masse dans l'espoir fou qu'un dieu quelconque se décidât à conjurer le froid qui s'infiltrait par les quelques fenêtres rondes et vétustes qui clairsemaient les murs de manière irrégulière. Sur la gauche, une petite cuisine attenante de bien pauvre aspect avait tout de même le mérite d'être fonctionnelle. Dans le fond, un couloir.
Une fois dans celui-ci a porte de droite menait à la mansarde, qui servait de chambre à la jeune slave. Un lit en fer forgé aux draps bleus occupait un petit recoin d'où il était facile de se cogner la tête. Il n'y avait dessus ni peluche, ni jouet. Il n'y en avait pas plus ailleurs. Une armoire simple contenait quelques vêtements, tous de bonne qualité mais peu nombreux. Elle trouvait généralement de petits emplois pour se les payer, parfois des emplois normaux dans des boutiques du chemin de traverse, parfois d'autres un peu plus louches comme des conversations à écouter ou des "livraisons". Parfois, elle volait, aussi. Son père ne lui en offrait que pour noël. Pour autant, elle n'était pas dénuée de possessions. es livres trônaient en pagaille dans une bibliothèque de bois de mauvaise qualité. C'était la seule chose qu'il daignait lui procurer, avec sa volonté d'en faire une érudite. La jeune fille ne s'en plaignait pas, elle aimait bien ça. L'on pouvait trouver toutes sortes de titre, allant de "Guerre et paix" aux maudits "chants de Maldoror", en passant par les basiques de la philosophie moldue, des traités alchimiques et divers ouvrages traitants de la magie et des créatures fantastiques. Depuis quelques jours, une cage spacieuse avait rejoint le rare mobilier de la chambre, pour abriter le gros rat blanc Gospodin. Une grosse matriochka à la peinture effacée servait de compagnon au rongeur, dernier objet que la gamine possédait ayant appartenu à sa mère. C'était tout.
Rares, très rares étaient ceux qui atteignaient la petite boutique en angle nommée "le veau d'or", dont le nom était inscrit en caractères gothiques à demi-effacés sur un vieux panneau de bois. Rares étaient ceux qui empruntaient la ruelle montante perpendiculaire à l'artère principale en partant de ce point précis. Cette veine étriquée au pavage sporadique grimpait inlassablement en pente raide, et se voyait bordée de maisons de pierre mornes, biscornues et étouffantes qui se rejoignaient presque par endroits en leur sommet. Le soleil filtrait à peine entre les toits, éclairant au mieux les fenêtres des derniers étages en dehors de quelques moments précis de la journée. C'était une impasse, qui se finissait brusquement par un mur moussu et partiellement recouvert de lierre, auquel était apposé une petite fontaine qui prenait les traits d'un poisson carnassier vomissant de l'eau dans une soucoupe de pierre moisie. Nul ne savait vraiment si quelqu'un savait ce que ce mur cachait, et à part la jeune Saskia, nul ne se posait à vrai dire la question.
Sur la gauche du point d'eau, une minuscule échoppe aux allures clandestines tenue par un indien centenaire au turban difforme vendait des poudres et herbes "traditionnelles", aux effets réputés pour briser les sens et la perception de la réalité des sujets qui s'y essayaient. Dans l'entrée de cette échoppe, se trouvait un petit escalier en colimaçon aux marches de bois si fines qu'il fallait l'escalader comme une échelle ratée. Tout en haut, une porte bleue dotée d'un judas cuivré toisait les rares visiteurs.
C'était derrière cette porte que Fiodor Lyssenko avait élu domicile après sa presque fuite de l'URSS avec sa fille bâtarde. L'homme ne travaillait pas. Il ne percevait qu'une maigre pension de sa famille en attendant désespérément leur décès pour enfin poser ses pattes assassines sur le magot qu'ils cachaient. Enfin, d'après lui il travaillait... mais il fallait accepter la réalité : sa poésie morose n'atteignait pas les cœurs trop candides des anglais autant qu'il l'espérait. Ses maigres revenus ne lui permettaient donc pas de se loger ailleurs que dans ce lieu miteux et malfamé. Tout du moins, pas avec son actuelle consommation d'alcool et autres substances, pas avec son goût pour le jeu, pas avec les nombreux créanciers qui lui couraient après et parfois le passaient à tabac.
Dans l'entrée se trouvait un petit salon, souvent en désordre à cause des crises de folie du russe. Un canapé rouge faisait face à une table basse où s'entassaient les journaux et les livres, les tasses de thé et les bouteilles à demi vides. Pour une raison qui échappait à la raison elle-même, deux pendules se faisaient face aux extrémités de la pièce, l'une en citronnier de Ceylan adoptait une teinte vaguement dorée, l'autre en bois d'acajou se parait de cette couleur rouge-marron si caractéristique et d'arabesques gravées. Les deux ne s'accordaient pas ensemble, un cliquetis d'aiguille constant, lancinant, exténuant envahissait donc l'air. Du petit mobilier envahissait le reste de l'espace, couvert de babioles et de bricoles qui souvent pouvaient se rattacher à la Russie et chargeaient la pièce de couleurs vives et variées. Un âtre central servait l'hiver à immoler des bûches en masse dans l'espoir fou qu'un dieu quelconque se décidât à conjurer le froid qui s'infiltrait par les quelques fenêtres rondes et vétustes qui clairsemaient les murs de manière irrégulière. Sur la gauche, une petite cuisine attenante de bien pauvre aspect avait tout de même le mérite d'être fonctionnelle. Dans le fond, un couloir.
Une fois dans celui-ci a porte de droite menait à la mansarde, qui servait de chambre à la jeune slave. Un lit en fer forgé aux draps bleus occupait un petit recoin d'où il était facile de se cogner la tête. Il n'y avait dessus ni peluche, ni jouet. Il n'y en avait pas plus ailleurs. Une armoire simple contenait quelques vêtements, tous de bonne qualité mais peu nombreux. Elle trouvait généralement de petits emplois pour se les payer, parfois des emplois normaux dans des boutiques du chemin de traverse, parfois d'autres un peu plus louches comme des conversations à écouter ou des "livraisons". Parfois, elle volait, aussi. Son père ne lui en offrait que pour noël. Pour autant, elle n'était pas dénuée de possessions. es livres trônaient en pagaille dans une bibliothèque de bois de mauvaise qualité. C'était la seule chose qu'il daignait lui procurer, avec sa volonté d'en faire une érudite. La jeune fille ne s'en plaignait pas, elle aimait bien ça. L'on pouvait trouver toutes sortes de titre, allant de "Guerre et paix" aux maudits "chants de Maldoror", en passant par les basiques de la philosophie moldue, des traités alchimiques et divers ouvrages traitants de la magie et des créatures fantastiques. Depuis quelques jours, une cage spacieuse avait rejoint le rare mobilier de la chambre, pour abriter le gros rat blanc Gospodin. Une grosse matriochka à la peinture effacée servait de compagnon au rongeur, dernier objet que la gamine possédait ayant appartenu à sa mère. C'était tout.