Salle d'interrogatoire

Matthew Selwyn arriva ici accompagné des trois jeunes garnements qu'il avait arrêté un peu plus tôt.


- Installez-vous là. On viendra vous chercher lorsque ce sera votre tour de comparaître. Comptez-vous chanceux de ne pas vous êtes retrouvés en cellule.

Il les laissa alors là, avant de quitter la salle, qu'il s'assura était bien verrouillée.

"MA CHAU... ssure..." s'exclama Tae, avant de se rend compte qu'ils avaient complètement changé d'environnement.
"Euh... on est où là exactement ? Et c'est quoi le mackenmarlo ou je sais pas quoi là ? Comment ça comparaitre, eh, hein ? On va finir en taule, mais j'ai que 11 ans, moi, c'est quoi ce bordel ? On va s'en sortir hein ?" scandait il alors, lui qui découvrait encore ce nouvel univers. Il avait mille et une questions, et il semblait toute les poser à la même personne : la mystérieuse jeune fille qui était apparue de nul part pour les sauver. En effet, elle lui inspirait au final un sentiment de confiance et sécurité, elle qui avait si sûre d'elle.

La situation est désespérée, et Johanna l'est aussi. Mais elle refuse de le montrer. Non pas par fierté, mais par égard pour le jeune Tae. Le jeune garçon, après avoir été passé à tabac, se retrouve maintenant sur le banc des accusés. La jeune fille ose à peine imaginer l'état de détresse dans lequel il doit se trouver. Et c'est donc à elle, la plus âgée ( oui plus qu'Edward aussi, de quelques mois ), de garder la tête froide et se montrer rassurante, quand bien même elle se mettrait volontiers à pleurer. Avec un sourire des plus sincères, elle s'approche du jeune asiatique et le saisit dans ses bras, une main dans son dos et l'autre dans ses cheveux.

" Mais non. Personne ne va finir en prison pour ça. Et surtout pas toi, ne t'en fais pas. Edward et moi, on se charge de tout, et on prendra toutes les responsabilités. Tu n'as rien à craindre, d'accord ? On va trouver une solution. Pas vrai, Edward ? "

Elle tourne alors le regard vers son frère. Ils doivent réfléchir ensemble à comment se sortir de ce mauvais pas, ou au moins, éviter à Tae d'avoir davantage d'ennuis. Et sur ce coup-là, il a plutôt intérêt à l'aider. C'est du moins ce que son visage laisse comprendre. Elle se baisse alors pour défaire les lacets de l'une de ses deux Saddle Shoes.

" Tiens. Prends la mienne en attendant. Elle est un peu grande, mais en serrant bien les lacets, ça fera l'affaire. Moi, j'adore marcher pieds nus. "

"Qu'est ce qu'elle veut que je fasse avec sa chaussure ?" se laissa alors à penser Tae. Il était vrai que la proposition de la jeune fille - bien qu’extrêmement gentille et polie - était un peu bizarre... n'aurait-il pas l'air plus bête avec deux chaussures différentes dont l'une plus grande que pieds nus ? C'est en tout cas ce que lui croyait. Mais bon ! Il n'allait pas refuser un geste qui lui semblait pour une fois totalement désintéressé. Il attrapa donc la chaussure, l'enfila et la serra tant bien que mal. Oui, il avait l'air très idiot. Oui, il était plutôt fier de ça. "Ils comprendront plus tard..." se disait-il, persuadé d'avoir inventé un style qui pouvait marquer les années à venir.

"Merci bien !" s'exclama t-il alors, saluant la jeune fille d'un geste de la tête. "Mais au fait, tu es qui ? Enfin, comment tu t'appelles je veux dire ?" poussa maladroitement le jeune homme. L'absence d'égard du dénommé Edward envers son interlocutrice n'étonna en rien Tae, lui, qui avait osé le jeter en pâture à ses agresseurs.

Edward refuse de l'aider, soit. Elle en a l'habitude, elle, la serpillère humaine, le torche-cul ambulant. Bientôt dix ans qu'elle a le sentiment de devoir changer ses couches, elle ne s'était pas attendue à ce que ça change soudainement. Cependant, cela la met bien mal à l'aise face au jeune garçon qu'elle tentait de rassurer, qui s'enquit de son identité. Elle rougit un peu, sourit néanmoins, et répond :

" Pardon ! J'ai oublié de me présenter. Je m'appelle Johanna. Et lui, c'est Edward, mon frère. Elle jette vers ce dernier un regard légèrement courroucé et malgré tout déçu, sans que Tae ne puisse s'en apercevoir. Ne t'en fais pas, il est toujours... comme ça... Un peu, heu, spécial. Mais, tu sais ce qu'on dit... qui ne dit rien consent ! bafouille-t-elle. Et toi, tu t'appelles comment ? "

Son frère hein ? Eh bien pour le coup, il ne l'aurait jamais deviné. Il trouvait plus de différences entre eux deux qu'il n'en voyait entre sa nouvelle "paire" de chaussure. Toujours est-il qu'elle n'avait pas tardé à répondre à TOUTES les questions du jeune garçon, et il y en avait bon nombre. Alors, en retour, il se présenta lui aussi.

"Richard ! Richard Tae-Yung, mais je préfère qu'on m'appelle Tae. Plus court, plus stylé, moins classique, plus moi quoi !" lui adressa t-il alors, avant de pointer son frère du doigt. "Et lui la, c'est quoi son problème ? Vous vous entendez pas ? Pff... moi, j'aurais bien aimé avoir une sœur comme toi, surtout de là ou j'viens !" lança t-il, ne se rendant pas vraiment compte de la maladresse de ses paroles.

Tout en caressant avec une incroyable douceur la tête du garçon, s'amusant de ses mèches plus sauvages que jamais après ses mésaventures, Johanna lui sourit avec tendresse.

" Alors, enchantée de te rencontrer, Tae. Du regard, elle suit le doigt pointé du jeune homme, et lui répond alors avec une certaine sagesse : Oh, pour s'entendre, nous nous entendons... Mais ce qui est plus compliqué, c'est de s'écouter. Ça ne m'empêche pas de beaucoup tenir à lui. Et même si on ne dirait pas comme ça... Je suis sûre qu'il est très content de m'avoir pour soeur aussi. "

Les paroles du garçon lui vont alors droit au coeur, et la font sourire encore davantage, lui faisant presque oublier le pétrin monstre dans lequel ils se trouvent.

" Oh, comme c'est gentil. Tu es adorable. Moi aussi, j'aurais aimé avoir un petit frère comme toi. Enfin, elle rougit, gênée, je ne veux pas dire que j'aimerais remplacer Edward ! Je ne le remplacerais pour rien au monde. Alors, dis-moi, d'où tu viens, toi ? "

Alors que la main de la jeune fille parcourait ses cheveux, Tae ne pût s'empêcher de rougir, lui aussi. C'était peut être la première fois de sa courte vie que quelqu'un fit preuve d'affection à son égard, et ça, il ne l'oublierai jamais.

"Hmmm... je comprend, oui. Désolé si c'était un peu déplacé..." lui répondit-il, à propos de son frère. "D'ailleurs, excuse moi aussi Edward, j'ai tendance à parler sans trop réfléchir, et ce que j'ai dit était purement méchant, j'espère que tu ne l'as pas mal pris..." dit-il au jeune homme, en baissant la tête.

Lorsqu'il entendit Johanna l'imaginer en tant que petit frère, il releva cependant rapidement la tête, et, à la simple idée que quelqu'un puisse le considérer autrement que comme un moins que rien, fondit alors en larmes. Il passait par toutes les émotions, et rêvait d'enfin pouvoir quitter cette pièce tant il avait honte.

" Hé, hé, hééé ! Allez, va, ne pleure pas. Tout va bien. Elle l'attire et plaque sa tête contre elle, l'abritant en son sein. On va bientôt sortir d'ici. "

Pourquoi pleure-t-il ? En est-ce trop pour lui, ou bien l'Allemande a-t-elle dit une bêtise ? Elle n'aura pas de réponse à sa question, mais ce n'est pas bien grave. Elle n'insiste pas, se contente de le réconforter de sa présence, de ses caresses, se passe des mots puisqu'il le faut. Lentement, elle se met à tanguer, de gauche à droite, en appui sur un pied et puis sur l'autre, tendrement le berce. Et elle se met à fredonner doucement, l'air qui lui vient, que l'instant lui inspire. Une mélodie apaisante aux tons graves qu'elle fait vibrer du fond de sa gorge au plus près des oreilles du petit garçon.

Alors que Johanna le tenait contre son corps, Tae ravala ses larmes, lui, qui ne s'était jamais senti aussi bien. Son esprit jonglait avec les émotions, d'un extrême à l'autre, lui, qui n'avait plus beaucoup de contrôles sur ces dernières depuis un bon moment. Mais, alors que ce dernier s'amusait de son hôte comme à son habitude, il fut frappé de plein fouet avec l'intensité d'un coup de marteau frappé par le plus fort des hommes. Une envie... irrésistible, une faim qualifiable d'insatiable. A présent affublé d'un sourire mesquin dissimulé par la berceuse que lui offrait Johanna, il se fit une promesse : si Edward n'était pas capable d'apprécier la compagnie de sa sœur, alors le jeune anglo-coréen la garderait pour lui, et lui seul. Et là, il obtiendrait enfin tout ce qu'il avait toujours désiré auparavant : une famille.

Cette nouvelle idée en tête, il s'affubla de son plus innocent sourire avant de relever le menton vers la jeune fille et lui dire : "Merci, tout va mieux désormais.". Puis il resta là, sur son petit nuage, persuadé que rien ne pourrait plus lui arriver tant qu'il resterait aux cotés d'elle.

Le visage enfoui dans les cheveux du garçon, l'Allemande ne se doute pas un seul instant de l'expression carnassière que prend son visage. Envoûté par sa berceuse comme les marins par le chant des sirènes, voilà qu'il ne rêve plus que de la faire sienne, alors que c'est lui, en réalité, qui lui appartient. Et à son tour d'user de ses atours naturels, de ce sourire innocent d'enfant qui va droit au coeur de celle qui se rêve en grande soeur. Elle dépose un baiser sur son front, avant de prendre délicatement son visage entre ses mains, plongeant ses yeux célestes dans les siens.

" Ça y est, ça va mieux ? Tant mieux. Alors, si tu veux bien me dire... D'où est-ce que tu viens, Tae ? "

Tae n'en revenait pas, son petit numéro d'acteur semblait fonctionner à merveille. Évidemment, à cet instant, c'était elle qui menait la danse, elle qui lui semblait être la pureté incarnée. Alors, quand elle lui posa la question qu'il craignait le plus, celle qui l'avait déjà réussi à esquiver une fois, il ne pût s'empêcher d'y répondre, comme hypnotisé par les yeux de la jeune fille.

"Je... Je ne viens pas vraiment de quelque part. Pas de maison, d'attache, rien. J'ai passé toute ma vie dans un orphelinat en périphérie de Londres, suite au décès de ma mère à ma naissance et à l'inexistence totale de... de mon père. Alors j'ai vagabondé, souvent fugué, puis revenu, comme attiré par la triste routine dont j'avais été affublé. J'aurais pu partir... j'aurais pu tous les fuir... mais j'en avais pas le courage. Et pourtant aujourd'hui, je n'y retournerai pour rien au monde." lui racontait-il alors, d'une voix plus basse et posée, presque triste, comme s'il avait honte de ce qu'il était et d'où il venait.

" Tu n'y retournerais pas ? Pourquoi ? Il n'y a personne là-bas à qui tu t... "

Mais voilà l'Allemande interrompue de façon impromptue par la vive réaction de son frère, qu'aucun ici, peut-être pas même lui, ne semble pouvoir s'expliquer. Bien qu'elle soit, en dehors de son paternel, la personne la plus proche de lui, ayant vécu la majeure partie de son existence en sa compagnie, Johanna ignore encore ce qui peut bien se tramer dans l'esprit insondable d'Edward. Se montrerait-il possessif, lui ferait-il une crise de jalousie ? Ou bien y'a-t-il dans le triste récit de l'enfant quelque chose qui lui a déplu au point de toiser ce dernier d'un regard à ce point dément ? Qu'importe la raison, la jeune Allemande ne tolère pas une telle attitude envers son petit protégé, même de la part de son frère. Elle fait de son corps un bouclier pour protéger le coréen des yeux insistants de celui qui se tient dressé sur la table de la salle d'interrogatoire, et soutient ceux-ci d'un regard glacial.

" Il y a un problème, Edward ? " le questionne-t-elle avec fermeté.

La perspective d'un affrontement fratricide réjouissait Tae au plus haut point, d'autant que cela le confortait un peu plus dans son idée tordue. Selon lui, il n'aurait pas beaucoup à forcer pour arriver à ses fins, juste à tirer quelques ficelles par ci où par là. Toujours dans son rôle d'enfant innocent, il se cacha derrière la jeune fille, une main agrippée au chemisier que portait Johanna. De là, il lançait quelques grimaces au frère de la gryffondor, bientôt remplacées par un sourire mesquin dont il avait le secret, espérant alors provoquer un peu plus le jeune garçon, voulant le pousser à agir.

C'est à cet instant que la porte de la salle d'interrogatoire s'ouvrit.


- C'est l'heure de votre comparution maintenant. Veuillez me suivre.