Jusque-là, le petit oiseau a toujours mené une vie que l’on pourrait dire paisible. Ce n’est encore, à dire vrai, qu’un oisillon, qui peine à prendre son envol : elle n’a jamais su s’éloigner de ce nid douillet que forment sa famille et ses amis, s’est toujours contentée de la tranquillité simple qu’ils lui offrent. C’est une jeune fille souriante, agréable et aimante au quotidien, de celles qui ne font pas d’histoires, une fille qui ne fait pas de vagues ailleurs que dans son bain. Cette paix elle y tient, et c’est pourquoi on la voit rarement au coeur des conflits qu’elle évite sagement, si ce n’est pour les résoudre de façon pacifique, misant sur l’innocence de ses gestes et la pureté de ses mots pour ramener les coeurs à la raison.
Ce n’est donc pas le genre de fille à laquelle on tend à vouloir du mal, puisqu’elle même ne cherche que le bien d’autrui, parfois même avant le sien. Rares sont donc ceux qui lui ont cherché querelle, et ceux-là se sont heurtés au cocon protecteur fait d’amis fidèles qu’elle s’est attirée naturellement. Au cours de cette existence tranquille, elle a donc rarement eu l’occasion de souffrir, n’a jamais subi de blessure qui soit plus grande que de simples écorchures ; le petit oiseau, bien au chaud dans son nid, n’a pour ainsi dire jamais perdu la moindre plume. Jusque-là.
L’os qui se rompt et lui transperce la chair la foudroie d’une douleur dont elle ignorait encore tout. Ses cordes vocales vibrent comme jamais elles n’ont vibré, et de sa bouche s’échappe un hurlement silencieux qui, s’il ne déchire pas l’air, ne ménage pas tant sa gorge. Elle n’ose pas bouger, tant la moindre secousse lui fait l’effet d’un séisme intérieur. Ses doigts fouillent et pétrissent nerveusement la neige glaciale dans laquelle elle est étendue, comme pour décharger la souffrance qui la conquiert. Une douleur telle que tant son esprit que sa vue se troublent, noyés dans ses larmes abondantes. Elle tente de se redresser, ce qui lui arrache de nouveau un cri d’aphone, le temps seulement de voir sa jambe meurtrie découverte par sa robe de sorcière. A la seule vue de l’os apparent, du liquide carmin qui s’écoule aussi généreusement que ses pleurs, elle se sent défaillir.
La vision lui paraît tout simplement irréelle, tout comme la souffrance qui en découle. Le tapis de neige immaculée sur lequel elle repose se souille du sang précieux de l’innocente que nul n’avait jamais répandu. Elle ne parvient plus à bouger, peine même à respirer par ses poumons saisis par le froid et la douleur. Étendue et immobile, elle se vide lentement de son sang, n’a guère d’autre choix que d’appeler à l’aide ; mais même ça, elle ne le peut plus, victime du Silencio. Dans un ultime sursaut, un espoir lui vient, celui de se saisir de sa baguette. Si elle parvient à s’en emparer, avant que son esprit ne vienne à sombrer, elle peut peut-être tenter de se soigner, sinon de se libérer du maléfice. Tremblante, sa main secouée par la panique vient fouiller le fond de sa poche, quand enfin, elle sent le manche de son catalyseur entre ses doigts. Elle se hâte de l’extirper, avant de rester figée. Elle ne tient entre ses doigts qu’un bout de sa baguette, l’autre étant resté dans sa poche. Tout comme son tibia, celle-ci s’est brisée en deux dans sa chute.
Mollement, désespérée, sa main retombe dans la neige, le bout de bois glisse le long de ses doigts pour choir non loin d’elle. Et elle se remet à sangloter de plus belle, si fort que cela en secoue son corps, si fort que cela déchire son être. Et quand bien même aucun son ne sort, elle hurle, elle crie désespérément à l’aide, mais rien ne vient. Elle est seule, blessée et condamnée. Elle n’a définitivement plus que ses yeux pour pleurer.
Elle finit par se calmer, non pas parce qu’elle parvient à se rassurer, mais simplement parce qu’elle a perdu tout espoir. Qu’elle est simplement résignée. Elle cesse de s’égosiller inutilement, et ferme les yeux. Après tout, n’était-elle pas venue ici pour souffrir ? Ce triste sort, elle se dit qu’elle l’a peut-être bien mérité. Que ce n’est que la justice qui se fait. Elle savait qu’au-dessus de sa tête pendait une épée de Damoclès, or elle n’a jamais cherché à l’esquiver. Car malgré tout le bien qu’elle a fait, Bird n’a jamais cessé de se blâmer, pour une seule et unique erreur qu’elle ne s’est jamais pardonnée. Si c’est là sa punition, alors elle ne peut que l’accepter.