Tour de l'horloge

De façon un peu abrupte, elle retire ses mains, réalisant soudain ce qu'elle en avait fait.

" Non, je ne suis pas un molosse. Mais je suis ton amie. Et je ne laisse personne s'en prendre à mes... mon ami. Si j'avais été là, Michael, je te jure que lui aurais fait la peau à... cette salope. "

La responsable ? Une fille qui agresse un garçon ? Dans son monde encore assez manichéen, Apolline se croyait la seule à être capable d'une telle chose. Qui dans cette école pourrait agir comme elle ? Elle a beau y réfléchir, elle ne voit personne qui répondrait à ce profil. A part Ida, bien sûr. Mais Ida n'est plus là.

" Donc, ce regard que tu avais là, c'est celui de ta mère ? Si tu le dis... "

La Verte n'est pas convaincue. Étrangler et noyer une jeune fille éprise de lui ? Non. Le Michael qu'elle connaît n'aurait jamais fait ça, du moins ne le croit-elle pas. Ce n'était plus simplement de la violence, de la colère. Non, c'était quelque chose de bestial, un sursaut de rage. Une envie irrépressible de détruire. Celle-là même qu'elle avait eue, une pierre à la main au-dessus du visage de Sullivan. Mais inutile d'en faire part au Jaune. Elle ne veut pas l'accabler.

" Mais parle-moi plutôt de ta formation d'Animagus... Alors comme ça... Tu es un aigle, maintenant ? "

Un sujet plus léger. Ça ne peut pas faire de mal. Ils en ont certainement tous deux besoin.

Apolline ne s'était pas imaginée que Gretchen Summers puisse être à ce point tempétueuse ; quand bien même elle avait grondé et menacé la mégère de l'orphelinat, elle ne s'était pas non plus retrouvée à lui fracasser la tête sur l'affreux carrelage couvert de motifs d'un goût douteux que les enfants doivent subir chaque jour passés dans cet établissement malheureusement vétuste. Non, lorsqu'elle les avait rencontrés, c'est Erik qu'elle avait surtout craint, la faute à ses a priori sur la gente masculine. Mais au final, il s'avère que des deux, c'est peut-être bien le père Summers qui soit le plus doux de caractère.

Apolline se pense faible pour céder de la sorte à ses pulsions, pour s'adonner ainsi à la violence, comme peut apparemment le faire Gretchen, ou même Michael il semblerait. Mais les accuserait-elle pour autant de faiblesse d'esprit ? Certainement pas. Dans l'histoire de Michael, elle respecte et admire les actes de sa mère. Alors pourquoi, si elle avait agi de la sorte en étant à sa place, voudrait-elle se condamner ? Le Jaune aurait-il raison, lorsqu'il la dit trop dure envers elle-même ? Elle croit être une abomination, mais elle est certainement plus humaine qu'elle ne le pense, bien qu'elle soit encore loin d'en prendre conscience.

" Un Milan Royal ? Oui enfin, une sorte d'aigle, aussi. "

Les lectures d'Apolline du temps où elle était alitée n'avaient que rarement porté sur le monde animal ; en la matière, ses connaissances sont nulles.

" Et Jasper donc ? "

Elle ne connaît ce dernier que peu, de vue à peine. Combien sont-ils, exactement, à avoir suivi cette formation ? Elle ignorait, curieusement, que Michael y avait pris part. Elle-même n'était pas intéressée, persuadée de ne pas avoir besoin de ça pour posséder un côté bestial.

" Pourquoi est-ce que vous vous changez tous en rapaces ? C'est toi qui l'a choisi ? "

" Très bien alors, disons, un oiseau. Ce sera plus simple. " lui répond-elle en haussant les épaules.

Cela dit, elle lui dirait certainement qu'elle préfère les aigles aux aigles, mais cette phrase n'a que peu de sens puisque l'aigle est la femme de l'aigle. Pour une fois que la ténébreuse voulait faire un trait d'humour, c'est davantage un trait sur l'humour que les mots lui imposent.

" Donc c'est en quelque sorte... ton esprit animal. Et donc, tu es un oiseau. Alors, comment c'est... d'être un oiseau ? "

Réellement d'être un oiseau, oui, pas simplement voler. Voler, c'est un rêve de moldu, mais le quotidien des sorciers. Pour eux et leurs balais, les nuages n'ont plus de secret.

" De se transformer ? C'est douloureux ? "

Beaucoup plus actif, oui, beaucoup plus discret également, si bien que lorsqu'il était revenu, elle ne l'avait ni vu, ni entendu. Et une meilleure acuité visuelle en plus de ça ? Décidément, le jeune devin collectionne les atouts. Mais à quel point ses yeux de rapace sont-ils efficaces ? Curieuse de connaître l'étendue des capacités de son ami, Apolline se tourne vers la fenêtre. D'ici se voit le parc de l'école, et dans celui-ci, de nombreux élèves éparpillés ci et là, dont certains, très éloignés.

" Alors, par exemple... Si tu étais sous forme animale, jusqu'où serais-tu capable de reconnaître les élèves ? " dit-elle en pointant son doigt sur un groupe de Serdaigles situés en contre-bas, à peine une centaine de mètres de là compte tenu de la hauteur. D'ici, le visage des étudiants ne sont pour la verte guère plus que des tâches colorées.

Apolline a bien du mal à s'imaginer ce que serait sa vue multipliée par trois, mais reste que les chiffres impressionnent. Le Jaune pourrait donc survoler tout Poudlard en un battement d'aile et repérer n'importe qui d'une oeillade... Tout en plissant les yeux, elle tente de discerner plus distinctement le visage des passants, en vain. Ce qu'elle ignore, c'est que sa vision est plus mauvaise encore que celle de l'humain lambda : elle est myope, bien qu'elle n'en ait jamais pris conscience.
La transformation de Michael est décidément très puissante. La Verte ne s'était absolument pas doutée que les animaux puissent posséder de tels avantages, si bien qu'elle vient à regretter de ne pas s'être elle aussi penchée sur la question de l'Animagus.

" C'est... Très impressionnant. Tu es plutôt bien tombé, pour ta forme animale. J'imagine que ce ne doit pas toujours être aussi heureux. "

Ils ne s'en vanteront certainement pas, mais peut-être que certains se voient changés en étoile de mer. Elle délaisse l'observation du parc pour se retourner vers le Jaune.

" Et moi ? En quoi crois-tu que je me transformerais ? "

" Oh, sûrement, dit-elle en souriant quelque peu. Ou... une petite souris. "

La malheureuse n'a nullement conscience de ce qu'elle évoque. On l'oublie assez vite, mais si Apolline est revenue, c'est en prenant la place d'une autre. Quelques heures à peine auparavant, une jeune fille est morte. Une âme neuve, naissante, troublée mais aimante. Une qui n'a que trop peu vécu, qui a, pendant un an durant, tenté de se faire à la vie. En vain. D'un instant à l'autre, tout ce qu'elle avait été s'était effacé, noyée dans les eaux lacustres.

Un chat ? Cela lui semble peut-être un peu trop doux, un peu trop docile, même si le caractère félin de l'animal pourrait lui correspondre. Elle s'imagine davantage sous les traits de quelque chose de plus sauvage. De plus violent, en somme. Pas un lion, ni un tigre : ils ont cette noblesse et cette force tranquille qu'elle n'a pas. Alors peut-être bien une panthère, en effet. Plus agile, plus vicieuse, plus à même d'épouser les ombres.

" Un... chat ? Tu me vois, en chat ? Je trouve ça... Un peu blessant. Ce sont des animaux ridicules. "

Elle les hait, à vrai dire. Et elle leur fait savoir, comme pourrait en attester le pauvre félin adopté par Christie et Clarisse. Elle ne supporte pas leur paresse, leur délicatesse, et par-dessus tout, leur hypocrisie.

Plus qu'hypocrite encore, c'est surtout de mauvaise foi dont elle est capable, et c'est pourquoi elle ne s'acceptera jamais en chat.

" Tout, mais pas un chat. "

Lorsque Michael lui apprend qu'il doit la laisser, une certaine inquiétude la gagne, à l'idée de retourner à la vie qu'elle connaît. Celle qu'elle avait fuie. L'idée de sortir de cette tour, d'affronter de nouveau le tout Poudlard, sa lutte des couloirs et ses cauchemars dans les dortoirs, tout cela l'effraie. En compagnie du Jaune, durant cette étrange discussion hors du temps, elle n'avait encore que peu réalisé ce que cela signifiait pour elle, de vivre à nouveau. De reprendre son existence infernale. Pour un peu, si elle s'écoutait, elle resterait terrée ici et empêcherait Michael de s'en aller.

Mais le Jaune a lui aussi une vie à mener de son côté. Pour Apolline, le combat reprend, face à la solitude et ses démons. Ainsi va sa vie.

" Oui, je comprends. C'est normal, c'est... Attends, Préfet ? Toi ? Je ne savais pas. Alors tu dois avoir à faire, en effet. Je ne te retiens pas plus longtemps. Encore... Merci, Michael. Je ne t'accompagne pas : je vais rester ici, encore un peu. J'ai à faire aussi, mais j'ai à penser avant. "

Il est vrai qu'elle a beaucoup à méditer. Mais elle a surtout besoin de plus de temps.

Il faut croire qu'Alex aussi s'y rendit. Hasard, hasard.

-Bonjour Jasper.

Une coïncidence fortuite. Jasper sourit en voyant Alex et referme son livre. 

- Bonjour Alex, ça fait un petit moment qu'on s'est pas vu je crois.

-Hors des cour ? Il me semble bien. Je void que tu prépares tes buses.

- Oui, je veux éviter de ne pas pouvoir envisager certains choix de carrière parce que je n'aurais pas eu de résultats suffisants pour poursuivre les matières en sixième année. De l'autre côté j'ai hâte de laisser tomber la Divination. 

Et toi ? 

Il se décale pour faire une place. 

-Bien sûr, bien sûr. C'est tout à fait raisonnable. Je suis aussi dans cette optique à la différence que c'est l'étude des moldus dont j'aimerais me débarrasser.

Le poufsouffle prit place aux côtés de son camarade après sa réponse communiquée aussi sobrement qu'à son habitude.

- J'imagine que c'est pas très euh... palpitant comme matière pour quelqu'un qui a déjà toutes les connaissances. 

Mais sinon... euh... en dehors des cours, comment tu vas ?

Et pourtant, la légère aversion du jeune homme pour la matière n'était pas dû à l'ennui. Elle ne l'était pas plus encore moins dû au caractère inane qu'un cours pour moldu à un moldu insinuerait. De sa propre perspective découvrir la vision des sorciers du monde moldu était aussi bien un miroir sur le monde sorcier qu'une chance de re-découvrir son "monde" sous un autre jour et défier ses acquis. Mais, ce qui lui apparut n'avait fait que davantage étioler ce maigre sentiment d'appartenance à l'une ou l'autre des communautés en se permettant même de faire lumière sur nombres de ses tares comme celle de son éducation. Ainsi, dès lors que ce coffret-ci fut ouvert, de chacun des cours auxquels il eu le malheur d'assister,il n'en ressortait que plus misérable qu'il n'y était entré. Les cours d'études des moldus s'ils n'étaient en effet pas ennuyant, ils représentaient des épreuves juste assez épouvantables et lamentables pour retourner l'estomac du jeune homme à leur moindre mention.

-C'est cela, trop ennuyant à mon goût ... Et mis à part ça rien d'autre, j'essaie de me montrer plus pro actif pour combler le vide de l'an passé et les buses m'aident grandement pour ça.

Il hoche la tête. 

- En parlant de l'an passé, j'ai l'impression que Poudlard est plus calme en ce moment... Mais c'est peut-être parce que je passe tout mon temps planqué dans la Bibliothèque...